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officielle de la première grande manœuvre à la Schlieffen, de la manœuvre conçue et tentée par le premier grand Etat-major allemand.

Von Klück, qui s’était consacré avec une ardeur inouïe, une ardeur de cavalier, à son exécution, comprit, sans doute, dès le lendemain de la bataille de Guise, qu’il n’avait pas les moyens de l’exécuter dans toute son ampleur. Il parait avoir eu aussitôt l’idée de la resserrer, de la raccourcir pour la rendre plus forte. Tandis que le grand État-major l’avertissait de la densité croissante des troupes qui manœuvraient devant lui, tandis qu’il constatait lui-même l’apparition de l’armée Maunoury, se sentant ébranlé, il chercha un rétablissement, précisément dans son instinct de cavalier.

Au mouvement tournant à large envergure, il conçut le dessein d’en substituer un autre, en s’engouffrant dans le vide créé par la retraite de l’armée britannique ; il se prépara, sans doute, à renouveler vers Meaux la tentative de Cambrai.

Devant une telle résolution, que pensait le grand Etat-major ?… Renvoyant l’exposé complet du problème à l’étude qui sera consacrée à « la manœuvre de la Marne, » rappelons seulement aujourd’hui, d’après les faits patents et rendus publics, que la discorde se glissa entre les chefs allemands ébranlés par la vigoureuse résolution de Joffre.

Discorde, désarroi, hésitation, témérité, c’est indiscutablement l’état d’esprit qui règne, à partir de la bataille de Guise, dans le grand Etat-major allemand. Et c’est dans ces dispositions qu’il doit prendre les grandes résolutions ! — N’oublions pas, brochant sur le tout, la fatuité impressionnable de l’empereur Guillaume. Il avait cru à « sa » manœuvre, et « sa » manœuvre s’effondrait. Lui, le chef infaillible, il avait donc mal calculé ! Tandis que l’armée et le peuple croyaient encore, dur comme fer, qu’on n’avait plus qu’à avancer pour « cueillir » Paris, le plus énergique de ses généraux « évitait » Paris… Il faut donc le reconnaître : les généraux français savent la guerre, Joffre manœuvre.

Avant Guise, on pouvait douter encore ; après Guise, aucun doute possible : le général français, ayant en main une armée de deux millions d’hommes, qui a montré au Grand-Couronné, sur la Meuse, à Guise Saint-Quentin, ce dont elle est capable, Joffre ne se laissera pas faire.