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sur Guise, en manœuvrant, à droite, dans la région d’Étréaupont où elle avait pénétré, l’ennemi déjà rejeté sur la rive Nord était pris par ses communications, coupé sur ses derrières et menacé d’un désastre.


Mais, à gauche, du côté de Saint-Quentin-la Fère, la situation était toute différente. Non seulement l’armée britannique n’avait pu prendre part à la bataille du 29, mais elle s’était retirée, abandonnant la région de la Fère, et elle avait décidé de se retirer plus loin encore, derrière l’Aisne, jusqu’à Soissons.

Ainsi la poche non seulement s’était créée, mais s’approfondissait d’heure en heure. Quant à la fissure entre les deux armées allemandes, elle était comblée. Si Bülow avait beaucoup perdu en dégarnissant sa gauche, il avait beaucoup gagné en renforçant sa droite. La cavalerie de Richthofen avait pris part à la bataille sur la route de la Fère et envoyait déjà une avant-garde sur la route de Saint-Gobain ; le Xe corps de réserve, malgré sa course formidable, se mettait, lui aussi, en mouvement et marchait sur la Fère, par Montescourt. En plus, von Klück, appelé à l’aide, envoyait à Bülow tout ce dont il pouvait disposer.

Tout cela n’était pas sans risque pour le général aventureux. Car ses troupes n’en pouvaient plus : à ce sujet, tous les témoignages concordent ; d’autre part, en se développant sur la route de la Fère, elles présentaient le flanc à l’armée Lanrezac. Celle-ci, toujours à l’abri derrière l’Oise à Renansart-Surfontaine, pouvait, par un « à gauche » vigoureux, les surprendre en pleine marche et leur faire payer cher leur avancée vers la Fère. La demi-brigade Mangin, arrivée par chemin de fer, était à Versigny, proie à se jeter en travers, tandis que les divisions de réserve déboucheraient de Renansarl, et tomberaient sur le flanc de l’ennemi, en direction de la Fère.

Les chances étaient donc pour le moins égales et il parait juste de dire que, tactiquement, elles penchaient en faveur de l’armée française, si elle poursuivait son succès le lendemain.


Joffre ordonne la retraite. — Mais d’autres considérations étaient à peser. Tout d’abord, le principal résultat qu’on se proposait était atteint : l’armée britannique était sauvée ; si la poche s’était produite, et si elle allait se creuser encore