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Fouquier-Tinville, qui incriminait Frédéric Dietrich « d’être un des chefs de la faction liberticide qui avait fait le projet, de relever sur sa base l’infâme despotisme et de renchaîner le peuple dans les fers du tyran », n’eut d’autre effet que de provoquer le dédain de l’accusé. « Encore si cela avait le sens commun ! » avait dit Malesherbes, quand on lui lut un factum de ce genre… Le mépris et le dégoût l’emportent ici sur l’indignation. Comme on demandait au maire de Strasbourg s’il n’avait rien à ajouter pour sa défense : « A quoi bon, répondit-il en haussant les épaules, puisque mon sort est décidé ? »

Il rentre alors à la Conciergerie et écrit à sa femme ces quelques lignes : « Ma chère femme, je t’embrasse bien tendrement. Les nouvelles d’aujourd’hui (28 décembre 1793) te seront bien sensibles. Songe à toi et à tes enfants et pense surtout que tes maux finiront bientôt. Je t’embrasse tendrement encore une fois. »

Puis il écrit à son fils aîné cette lettre touchante :


« Mon cher fils,

« Tu recevras par la première diligence quelques morceaux de musique gravés et tout ce que j’ai copié, arrangé et composé de musique, le tout écrit de ma main durant ma captivité. Il y a du fort mauvais, du fort mal arrangé : il y a aussi des choses charmantes. C’est malheureusement tout ce que je puis te laisser.

« Rassemblez, mes chers enfants, toutes vos forces ! Votre père n’existera plus, lorsque vous recevrez ce peu de mois. Conservez-vous pour votre mère et votre petit frère ! Mon cœur se brise en songeant aux malheurs que nous avons attirés sur l’ami et sur sa famille[1]. J’espère que mon père aura soin de lui et de vous. Je l’en ai prié encore aujourd’hui. Continuez à aimer votre patrie. Ne cherchez pas, de votre vie, à tirer aucune vengeance de ceux qui m’ont si injustement persécuté. Si je pouvais leur faire du bien au moment où ils m’envoient à la mort, ce serait un bonheur pour moi. Consolez-vous de ma perte en songeant que, depuis treize mois, votre malheureux père souffrait un supplice mille fois plus douloureux que la mort. Tâchez

  1. Il doit être question ici d’Alexis Gloutier, l’ami intime de Dietrich, qui s’était chargé de l’éducation de ses fils et qui, plus d’une fois, avait exposé sa vie pour le sauver.