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chacun pour loi nationale son caprice, multipliaient par le caprice les pires espèces de gouvernements. La ruine de la foi religieuse entraînait tout dans sa chute : si le monde moral n’avait pas comme l’univers physique des lois permanentes, immuables, supérieures au consentement de ceux qui leur sont soumis, et dont la sauvegarde s’impose à ceux qui commandent, si l’ordre de la société humaine était l’œuvre d’une raison tout humaine, cette raison même, présente dans tous les hommes, se révoltait contre l’illogisme qu’un seul, semblable aux autres, usât de la sienne sans eux, contre eux. Et si des êtres éphémères dans leur durée et plus encore dans leurs désirs obtenaient licence de fixer, ou plutôt de changer sans cesse, par leur souveraineté solitaire, les règles des devoirs personnels, et par leurs suffrages collectifs les règles de la vie publique, la raison était le plus grand commun diviseur qui put réduire en poussière les institutions et en anarchie les hommes. Nos philosophes français n’ébranlèrent sans ménagement que l’Eglise, certains qu’elle entraînerait dans une chute accessoire les princes ; les princes, plus aveugles, prirent le sursis d’exécution pour une alliance. Eux aussi invoquèrent leur intelligence humaine pour la préférer à celle de l’Eglise, en même temps qu’ils opposaient leur droit divin au droit humain de leurs sujets : par les souverains fut porté à son comble l’illogisme de la raison. Les plus philosophes ne furent pas Catherine et Frédéric, mais le catholique empereur d’Autriche Joseph II : lui, au lieu de négliger l’Eglise comme une puissance vieillissante, s’occupa obstinément d’elle, pour s’en servir en lui rendant la vigueur, prétendit en réformer la discipline, en régler l’activité, en rajeunir la doctrine, et s’y appliqua par l’intervention l’a plus continue, la plus minutieuse, la plus tracassière. Par-là s’achevait le renversement des rôles entre la morale et la politique : c’est le pouvoir humain qui enseignait l’Eglise pour lui donner la sagesse et lui rendre la force.

En Belgique le « Joséphisme » rencontra la résistance qui fléchissait ailleurs. Louvain est la forteresse de doctrines autour de laquelle il creuse des tranchées : le siège dura plus de trente ans, et l’Université ne capitula pas. L’indépendance est, lambeau par lambeau, confisquée aux hommes de la science par les hommes de l’arbitraire ; la vieille tradition résiste aux