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l’artillerie, aux jours de solennité, ponctuât le refrain à chaque vers par un coup de canon ?… Encore une fois, l’air et les paroles forment un tout parfait. Les altérations de la musique originale ne sont pas des perfectionnements, mais des fautes. La première version, c’est-à-dire l’original, était la meilleure, si l’on en juge par l’impression produite sur le moment même.

On nous a habitués à considérer comme historique l’exécution de la Marseillaise d’après le tableau célèbre de Pils, où un jeune officier debout, la main gauche sur son cœur, la droite levée vers le ciel, les sourcils froncés et la figure exaltée, chante l’air à plein gosier, tandis que Dietrich, ses nièces et ses amis l’écoutent avec transport et que l’accompagnatrice elle-même, comme subjuguée, est prête à quitter le clavecin pour applaudir. On nous a dit que c’était le portrait exact de Mme de Dietrich, de ses deux nièces, du prince Victor de Broglie, des adjudants généraux d’Aiguillon et du Chastellet. Il paraît, d’après les recherches récentes de M. Louis de Jouantho, que Pils aurait fait poser les têtes de ses propres parents et ne se serait pas procuré la physionomie exacte des Dietrich… Je puis assurer cependant que la tête du maire est bien celle de Dietrich.

Quant à l’exécution de l’air lui-même, il convient de s’en rapporter à cette lettre de Mme de Dietrich écrite en mai 1792 à son frère, le chancelier Ochs : « Comme tu sais que nous recevons beaucoup de monde, soit pour changer de conversation, soit pour traiter des sujets plus distrayants les uns que les autres, mon mari a imaginé de faire composer un chant de guerre. Le capitaine du génie, Rouget de Lisle, un poète et un compositeur fort aimable, a rapidement fait la musique du chant de guerre. Mon mari, qui est bon ténor, a chanté le morceau, qui est fort entraînant et d’une certaine originalité. C’est du Gluck en mieux, plus vif et plus alerte. Moi, de mon côté, j’ai mis mon talent d’orchestration en jeu. J’ai arrangé la partition pour le clavecin et autres instruments. J’ai donc eu beaucoup à travailler. Le morceau a été joué chez nous à la grande satisfaction de l’assistance… »

M. de La Barre, continuant la relation qu’il tenait de Rouget de Lisle lui-même, nous affirme que le jeune capitaine alla remettre aussitôt au maire sa composition et que celui-ci ne fut pas peu étonné d’une aussi prompte conception. Il aurait dit à Rouget de Lisle : « Montons à mon salon, afin que j’essaie votre