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Ces paroles avaient frappé Rouget de Lisle et lui avaient inspiré pour ainsi dire le thème de sa composition. On ne peut douter, malgré des contestations assez nombreuses, qu’il n’en soit bien l’auteur, car lui-même, dans le recueil de ses œuvres en 1825, dit à ce propos : « Je lis les paroles et l’air de ce chant à Strasbourg, dans la nuit qui suivit la proclamation de la guerre (fin avril 1792)… » Les vers sont en général médiocres, les rimes banales ; tout se ressent de la phraséologie pompeuse de l’époque, comme « les hordes d’esclaves, — les phalanges mercenaires, — l’opprobre des partis, — les ignobles entraves, — les, projets parricides, etc. etc. » Mais, toute critique admise, quelle exaltation, quelle fièvre patriotique, quelle sonorité et quels coups de tonnerre ! Comme les mots qui jadis retentissaient si douloureusement à nos oreilles ont trouvé aujourd’hui leur application ! Comme les attentats sur les femmes et les enfants, qui nous semblaient si extraordinaires, ont pris une affreuse réalité ! Comme elles sont vraies, ces paroles :


C’est nous qu’on ose méditer
De rendre à l’antique esclavage !


et comme ces vers :


De vils despotes deviendraient
Les maîtres de vos destinées ?…


Et ceux-ci encore :


Tout est soldat pour vous combattre !


et le couplet : « Amour sacré de la Patrie, » comme tous ces passages ont revêtu une actualité émouvante et saisissante entre toutes I !

Et n’est-il pas entraînant l’air lui-même qui émane bien de Rouget de Lisle et non pas, suivant les uns, de l’Esther de Lucien Grisons, ni de la messe solennelle d’un soi-disant Holtzmann, « l’homme de bois » qui n’a jamais existé, ni de la marche de Sargines de Dalayrac, ni de l’opéra de Raoul de Créqui et autres compositions ? On a voulu, plus tard, avec le concours de musiciens compétents, orchestrer militairement cet air qui se suffisait à lui-même et y placer des gémissements de saxophone et des coups de grosse caisse imitant les coups de tonnerre. Un musicien même n’a-t-il pas demandé que