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impuissants. Pour ne pas faire rétrospectivement le fanfaron, ce qui est la plus vilaine façon de le faire, avouons que, pendant un certain temps et un assez long temps, le péril a été sérieux. M. Lloyd George ne l’a pas caché : « D’avril à juin 1917, 40 pour 100 des vapeurs britanniques de plus de 300 tonnes ont été coulés par l’action ennemie.» Mais que l’Allemagne, à son tour, avoue que ce temps est passé : 1,23 pour 100 de portes seulement, de mars à juin 1918. Et qu’elle aussi dresse son bilan. Deux ans durant, avec ses sous-marins, elle a détruit un grand tonnage; elle a accumulé ruines sur ruines, et douleurs sur douleurs, mais des colères sur les douleurs et des haines sur les colères. Elle a souillé son pavillon de taches que les eaux de tous les océans ne suffiraient pas à laver. Elle a jeté aux abîmes, sans que leurs supplications pussent faire lever en elle le moindre germe de miséricorde, des milliers de victimes innocentes, femmes, enfants, et ce qui, avant elle, était sacré à tous les hommes, la chair mutilée et souffrante des blessés reposant sous la croix protectrice. Dans son mépris de toute loi et de tout droit, sa malfaisance à longue portée a supprimé ou affaibli, en prévision du lendemain de la paix, la concurrence des neutres; et les neutres, pour la plupart, inclinés devant la force, ont pris le parti de tout supporter; mais leur cœur, à défaut de leur bouche, s’est rempli de malédictions. L’Espagne, lasse à la fin d’envoyer pour chaque navire torpillé des « notes » de protestation dédaignées, s’est décidée à envoyer non plus une simple note, mais une « notification, » par laquelle elle signifie à la Chancellerie impériale qu’en échange du tonnage qui lui serait coulé désormais, elle récupérerait un tonnage égal sur les bateaux allemands mouillés dans ses ports. La volonté de son gouvernement de maintenir quand même sa neutralité n’étouffe pas les révoltes de sa fierté, et des rancunes s’amassent dont les explosions retardées peuvent ne pas être les moins violentes.

A tout compter et tout peser, l’Empire doit voir que le résultat le plus clair, pour lui, de la guerre sous-marine a été de déterminer l’intervention des États-Unis, contre qui la guerre sous-marine elle-même a jusqu’ici été inefficace. Quand elle serait allée émettre ses gaz empoisonnés à l’embouchure des rivières américaines, l’Allemagne ne ferait pas que les navires chargés de troupes, — souvent ses anciens paquebots géants, — n’arrivent sans accident et pour ainsi dire sans encombre. Car ils arrivent, il en arrive même de plus en plus. La preuve que l’Empereur n’est pas satisfait, c’est que l’amiral von Capelle va rejoindre dans sa disgrâce le grand amiral