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La première pourrait être, si l’on veut, un avertissement de traiter avec plus de prudence qu’on ne le fait souvent les questions de race, si délicates et si complexes. Car enfin les Tchèques sont ethniquement de bien proches parents des Russes, et il est cependant impossible de n’être pas frappé du contraste qui les oppose les uns aux autres. Sans doute il y a entre eux de profondes analogies ; on les a signalées, et l’on a eu raison, — on a eu raison surtout au début de cette guerre : alors, l’ignorance de la question tchèque était telle chez nous que, sur quatre Français pris au hasard, l’un confondait les Tchèques avec les Allemands, le second avec les Magyars, le troisième avec les Tsiganes, et le quatrième soupçonnait tout au plus qu’ils pouvaient être des Slaves. On a donc bien fait de rappeler au public leurs affinités de race avec nos alliés de Petrograd. Mais il y a Slaves et Slaves, et aujourd’hui il serait injuste et dangereux de les envelopper tous dans la même défiance. Depuis bientôt deux ans, autant les Russes ont montré d’inconsistance, d’enthousiasme utopique ou de morne dépression, de veulerie résignée devant des maux qui n’étaient nullement inévitables, autant les Tchèques ont déployé d’énergie, de ténacité, de bon sens précis et robuste, de fidélité à leurs idées, à leurs affections et à leurs haines. D’où provient cette différence si manifeste ? de ce que deux rameaux d’une même famille n’ont jamais une structure mentale identique ? de ce que les Tchèques ont été, bien avant les Russes, initiés à la civilisation occidentale et latine, les Russes restant au contraire en contact prolongé avec ; l’Orient asiatique ? ou enfin de ce que, pendant des siècles d’oppression germanique, le peuple tchèque a raidi sa volonté pour résister à ses vainqueurs, a été constitué en état, pour ainsi dire, de guerre perpétuelle, et, pour sortir d’esclavage, a dû se donner quelques-unes de ces qualités d’organisation et de discipline si redoutables chez ses voisins allemands ? Quelle que soit la cause, le fait est certain : il est de ceux que doivent enregistrer l’historien et le politique, l’un pour réduire dans ses explications le facteur ethnique à sa juste mesure, l’autre pour ne pas traiter de même manière des peuples qui sont frères de race et de langue, mais qui ont évolué en sens divers et présentent des réactions individuelles bien caractérisées.

Un autre trait non moins notable, c’est l’antithèse étonnante entre la force numérique des doux partis en présence et leur