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du général Dieterichs, il y a toute la différence de proportions qui sépare la guerre actuelle des expéditions anciennes. Une seule chose n’a pas varié : le courage, le courage multiple, également invincible aux attaques des hommes, aux difficultés matérielles et à la terreur de l’inconnu. Mais qu’était cette poignée de dix mille mercenaires auprès de l’armée, peut-être décuple, qui lutte là-bas sous le drapeau blanc et rouge ? Qu’est-ce que le voyage de Cunaxa à Trébizonde auprès de ce prodigieux itinéraire qui s’allonge des rives du Dnieper à celles de la mer du Japon, traversant la moitié de l’Europe et toute l’Asie ? Et enfin, quelque importance qu’ait pu avoir dans l’histoire grecque l’heureux retour de ces héroïques aventuriers, qu’est-ce auprès des conséquences qu’aura la victoire des Tchéco-Slovaques dans l’histoire universelle ? Ici, il y va des destinées de toute la Russie, — et, par suite, de celles des deux grandes forces qui s’affrontent sur ce champ de bataille, l’Entente et le Germanisme, — et, par suite enfin, de celles de l’humanité tout entière.

Tout cela, le public le sent confusément : c’est pourquoi il s’intéresse tant aux brillants faits d’armes qui jalonnent l’expédition tchèque de Sibérie. Mais, à travers les nouvelles fragmentaires et un peu décousues qui nous en parviennent, il n’est peut-être pas très aisé de se faire une idée claire de cette campagne si curieuse. Il l’est moins encore d’en bien comprendre le vrai sens. Les pages qui suivent n’ont pas d’autre objet que de coordonner ce qu’on a pu lire au jour le jour, de le compléter, s’il y a lieu, par des renseignements puisés à bonne source, et aussi de l’expliquer, de manière à prévenir toute erreur dans les pays de l’Entente.


I

D’abord, pour apprécier comme il convient l’attitude des Tchèques au milieu de la révolution russe, il n’est pas superflu de connaître leurs sentiments envers la Russie avant la grande crise actuelle. On ne surprendra personne en disant que ces sentiments étaient plus que cordiaux, vraiment affectueux. La nation tchèque est sans doute celle où vit la conscience du slavisme la plus nette et la plus intense : il était donc naturel qu’elle se jugeât liée à la grande sœur du Nord par une