Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les États. Faute d’une loi et d’un interprète uniques, elle devait se déformer dans chaque région, selon les intérêts, les instincts particuliers à chaque race ; et entre ces peuples devaient se réveiller les unes contre les autres les cupidités, les jalousies, les haines endormies, mais non détruites par la charité chrétienne. La Réforme était donc la fin de l’alliance que le catholicisme perpétuait entre les peuples : chaque race revenait par son autonomie à la solitude où elle s’enfermerait pour se défendre et d’où elle sortirait pour conquérir.

La Renaissance ne modifiait guère moins les rapports de l’Église avec les pouvoirs demeurés catholiques. Pour ceux-ci également l’antiquité avait été l’école de l’indépendance. A leur imagination elle présentait, comme les représentants les plus complets de la grandeur humaine, ceux qui avaient su dominer tout par leur volonté ; elle enseignait, par la gloire de ses héros les plus fameux, que la condition première des actions mémorables est une audace, une promptitude et une sécurité permises seulement aux maîtres absolus. Et en même temps que l’histoire enchantait ces princes par le spectacle des prodiges accomplis avec la grâce de la force et la sûreté de la dictature, ils voyaient dans l’immense recueil des lois romaines le mécanisme irrésistible de la puissance sans limites. Ils constataient qu’elles remettaient aux empereurs non seulement la politique, l’armée, les provinces, les impôts, le commerce, mais la fortune, mais la pensée, mais la religion, mais la vie de tous. Ils comparaient la simplicité d’un tel régime et l’économie de ses ressorts aux complications qu’entraînait, dans la société féodale, le scrupule de marchander avec les droits de chacun. Ils se tenaient pour dépouillés de leur patrimoine par ces respects que leur imposait la tradition catholique. Plus encore, quand ils virent une partie des souverains se soustraire à ce joug par la Réforme, la soumission qu’ils gardaient à l’Eglise se trouva diminuée par le voisinage de cette révolte. Autant que dans les États protestants, la science grave des légistes, et plus que dans les États protestants la flatterie adulatrice des cours offrait sa tentation continue au secret désir des princes catholiques. Ainsi tendait à s’élever toujours plus solitaire et toujours plus dominatrice la prérogative des souverains. Et ceux qui voulaient être les seuls guides de leurs peuples, fût-ce seulement sur les routes humaines, couraient le