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praticable des voies de communication, suffiraient à expliquer d’aussi brusques écarts.

Les routes, au XVIIIe siècle, se créaient lentement ; j’ai précédemment conté leur histoire et les doléances des voyageurs[1] ; les détails abondent sur ce sujet : Blondel, ministre de France près l’électeur Palatin, qui regagnait son poste en janvier 1735, écrit au ministre Chauvelin : « J’ai resté une nuit dans les boues, et hier, étant parti à six heures du matin de Château-Thierry, je fus heureux d’y pouvoir retourner coucher le soir, ma berline ayant été embourbée dès dix heures et n’ayant pu la retirer qu’à six heures du soir. Je n’ai pu faire aujourd’hui que cinq lieues, quoique ayant à ma voiture douze et quatorze chevaux. Enfin, les boues sont telles qu’une charrette sur laquelle il y avait trois invalides ayant versé près d’ici, il y en eut un qui s’est noyé dans la boue. »

Les entrepreneurs de charroi passaient avec les laboureurs du voisinage des marchés sujets à mille fluctuations ; en certaines directions on utilisait des frets de retour : le concessionnaire d’une houillère en Limousin, sous Louis XV, se proposait, dit-il, « d’employer pour le transport de ses charbons 3 à 4 000 voitures qui passent continuellement à vide auprès de sa mine, pour aller chercher à Limoges le sel qu’elles conduisent en Auvergne. » L’on ne sait ce qu’il advint de ces espérances ; mais une autre mine, en Bourbonnais, ne pouvait livrer au port de Moulins, cependant peu éloigné, plus de 700 tonnes par mois (1793) « vu le manque de chevaux et de fourrages. »

Bien que les charrettes ne fussent pas très communes, surtout dans le Midi où beaucoup de transports se faisaient encore sur des bâts, à des de bêtes de somme, — mauvais roussatis de foire, — le matériel de traction dut pourtant s’améliorer au début du XIXe siècle : un voyageur anglais (1802) témoigne de l’admiration pour la manière dont on construit les charrettes dans l’Ouest de la France : « Elles sont placées sur de très hautes roues, la charge répartie en équilibre sur un essieu où l’on attache les traits. Un marchand m’a dit qu’un cheval pouvait ainsi traîner 3 600 livres. » De ce perfectionnement des charrettes, Mercier fait au contraire honneur à l’Angleterre : « Les

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1913, Routes et Voyageurs à cheval.