Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y suffisaient, tandis que 335 000 étaient affectés à la « petite vitesse. » À cette dernière pourvoyaient vers la fin du XVIIIe siècle à Paris, seize « commissionnaires-entrepreneurs de grosses voitures par la voie des routiers, pour toutes les villes du royaume » ; les uns spécialisés dans certaines directions, les autres prenant pour tout pays.

Plusieurs fois l’Etat avait songé à réglementer ce commerce : dès le règne de Louis XIII, on faisait valoir que « les marchands sont le plus souvent en peine de trouver des routiers et, s’ils n’ont de quoi leur donner leur charge, faut qu’ils attendent souvent quinze jours ou un mois. » Les colis étaient « confiés au premier venu, pauvre homme parfois, qui n’a qu’une charrette et vend, si elle se rompt en chemin, une partie de ses chevaux pour la faire réparer ou en avoir une neuve. » Un fermier sollicitait (1634), en échange d’un versement de 1 500 000 fr. dont le Trésor lui eût servi l’intérêt à 4 p. 100, le privilège du roulage en France ; s’engageant à faire partir à jours fixes une ou deux charrettes par semaine, chargées ou non, — c’était sans doute assez en ce temps-là, — et, de plus, « à assurer et garantir la marchandise. »

Clause précieuse au premier chef : suivant l’usage d’alors, on dessinait à l’encre une main sur le ballot ou la caisse, pour indiquer que son contenu était fragile, mais cela ne servait pas à grand’chose ; dans son Histoire de la manufacture de Saint-Gobain (1665-1805), M. Augustin Cochin, administrateur de cette Compagnie, affirme qu’autrefois, sur 72 glaces transportées de Chauny à Paris, 12 seulement arrivaient entières ; pourtant le voyage se faisait par eau et ces anciennes glaces n’avaient qu’un mètre de côté. De ces miroirs brisés, des pièces d’étoiles gâtées ou tachées d’eau et de toutes avaries en général, il fallait bien faire son deuil ; les transporteurs gagnaient toujours leurs procès ; les tribunaux, estimant que ce risque était naturel, n’accordaient rien et, pour les coffres ou valises perdus sans valeur déclarée, ils n’allouaient qu’une indemnité fort médiocre.

Les projets de monopole se renouvelèrent périodiquement jusque sous Louis XVI, soulevant chaque fois, de la part du commerce, des protestations énergiques qui firent reculer le pouvoir. Les adversaires des courtiers libres leur reprochaient de prélever des commissions exorbitantes, allant jusqu’à 40 pour 100 et faisant des 60 et 120 francs par tonne.