Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aurait pu continuer de produire pendant un an, ou même seulement pendant quinze jours, si des trains entiers de chemins de fer n’étaient partis sans cesse de la station la plus voisine, chargés de ses volailles, de ses légumes, de ses fruits, de ses fleurs, aussi bien que de ses grains, de son bétail ou de son vin.

C’est ainsi que le transport des marchandises est le plus important de tous, non seulement en lui-même, par le nombre des kilogrammes, mais par ses conséquences, la civilisation moderne, si complexe, repose sur lui tout entière, parce qu’il est la condition essentielle de toute production et de toute consommation, partant de toute industrie, de toute richesse, de tout bien-être. C’est la révolution des transports qui a mis fin à ce désolant paradoxe de naguère : l’extrême abondance des récoltes devenant une cause de ruine pour les producteurs, par un avilissement des prix dont les consommateurs n’étaient pas à même de profiter.

« Mourir de faim sur un tas de blé, » suivant le mot connu de Mme de Sévigné, n’était pas seulement le fait d’une province exceptionnellement favorisée où le grain ne trouvait plus d’acheteurs, mais celui de régions très vastes et même de la France entière, à certaines époques où, les défrichements allant plus vite que l’accroissement de la population et l’offre de denrées dépassant la demande, tout progrès était paralysé. Par contre, la cherté, dont souffraient les consommateurs, n’était jamais avantageuse aux producteurs, parce qu’elle avait pour cause nécessaire la disette ; l’on ne pouvait si bien vendre que ce dont nul n’était vendeur.

Si l’on trouve, du XIIIe au XVIe siècle, des hectares de vignes a 140 et même à 70 francs, — de notre monnaie[1], — en Languedoc, tandis qu’il s’en voyait à 4 000 et 6 000 francs à Argenteuil et à Vanves, à 7 000 et 8 000 francs en Basse-Normandie et à Nanterre, c’est que, moins le climat était favorable

  1. Tous les chiffres, antérieurs à 1800, mentionnés dans cet article sont des chiffres exprimés en monnaie de 1913, dernière année normale avant la guerre. Les monnaies d’autrefois ont été converties toujours en francs intrinsèques de 4 grammes et demi d’argent fin (à 222 francs le kilo) et ces francs intrinsèques ont être traduits en francs de 1913, d’après le pouvoir d’achat de l’argent d’il y a cinq ans. — Ainsi le chiffre de 70 francs de l’année 1295 correspond à 17 fr. 50 de cette époque, où la vie était en moyenne quatre fois moins chère qu’en 1913 ; et ces 18 fr. 50 représentent, en poids de monnaie, 1 livre 2 sous tournois environ, parce que la livre tournois de 1295 valait, en poids d’argent, 16 francs.