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pour prévenir leurs conflits en supprimant leur voisinage, constituait un troisième Etat, qui, entre elles, tout le long de leurs frontières, interposât sa masse. Des Alpes à la mer du Nord se glissa la longue étroitesse de la Lotharingie : les Pays-Bas en étaient la partie septentrionale. Mais, plus excitées que contenues, les ambitions de l’Est et de l’Ouest se cherchèrent partout à travers l’obstacle, et ne cessèrent de se disputer surtout ces Pays-Bas où la nature, à la fois bienveillante et hostile, avait ouvert les voies au commerce et à l’invasion. Ils étaient les plus exposés à changer de maître, et à cause de cela devinrent les plus soucieux de n’avoir pour maître qu’eux-mêmes. Au XVe siècle, la France et l’Allemagne, l’une occupée par les Anglais, l’autre tombée en anarchie, cessaient d’être menaçantes, et les Pays-Bas, sous la maison de Bourgogne, puissante, renommée, protectrice des arts et des lettres, sentaient grandir leurs chances de demeurer une nation libre. C’est alors qu’ils désirèrent un centre de culture où la civilisation générale, au lieu d’être enseignée avec l’accent de France ou d’Allemagne, fût interprétée par le génie flamand et en dégageât l’originalité. Et cette Université s’ouvrit en 1425 à Louvain…


III

Établie pour fortifier l’autonomie de race, l’Université dès son origine eut à défendre l’unité de civilisation. C’était l’heure où la Renaissance italienne arrachait à leur sépulcre d’oubli les monuments de l’art antique, l’œuvre des sculpteurs, des architectes, des poètes, des historiens, des lettrés, des jurisconsultes, des philosophes. Ce fut la résurrection de la beauté. Cette beauté resplendissait dans les langues de Rome et d’Athènes, pures comme aux jours de Périclès et d’Auguste, créatrices de précision, d’harmonie, de dignité et de grâce ; elles faisaient honte au latin grossier, où l’indifférence mystique des clercs et l’inaptitude naturelle des barbares avaient amassé tant de vague, de rudesse, et de pauvreté. Mais, tandis que cette indigence de termes soutenait la richesse des pensées sublimes et des espérances immortelles, la perfection des mots antiques avait serti la misère des doctrines. L’ignorance de l’avenir réservé à l’homme, la carence de bonheur offerte aux meilleurs après la mort, avaient concentré les désirs de tous sur les joies de la