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avait dix-sept ans. En outre, furent arrêtés : Nieck Ignace avec son fils et sa fille, la veuve Schmitt avec ses enfants, dont un jeune garçon de seize ans, et Jean-Baptiste Biehler, un vieillard de quatre-vingts ans. Schott fut maltraité, jeté sur le sol, puis conduit avec ses compagnons dans un champ qui se trouvait à 80 mètres de sa maison. Pendant ce temps, les soldats mettaient le feu à sa maison.

Vers cinq heures du matin, les Allemands, sous les yeux de leurs femmes et de leurs enfants, fusillèrent :

Benjamin Schott et son fils, dix-sept ans, sujets suisses, et un de leurs domestiques ;

Nieck Ignace et son fils Paul, âgé de vingt ans ;

Jean-Baptiste Biehler, âgé de quatre-vingts ans ;

On avait trouvé dix-sept volontaires pour exécuter les Alsaciens.

Presque en même temps et à bout portant, fut tué sur le seuil de la maison Kuneyel, Fritsch, qui se précipitait au dehors pour voir ce qui se passait[1].

Voici sur ce point une déposition recueillie par le maire allemand de Mulhouse, Cossmann, et qui, dans sa simplicité, est bien l’un des documents les plus émouvants qu’on puisse voir :


Dès le dimanche 9 août, dit la femme interrogée, nous avons été suspectés par les militaires malgré notre innocence. Lorsqu’on commença à tirer, tous les habitants de notre maison se sont réunis chez

  1. Tout le dossier des affaires de Bourtzwiller et de Mulhouse a été saisi à la mairie de Mulhouse, lors de la seconde occupation de cette ville par les troupes françaises. M. P.-A. Helmer, avocat à la Cour de Colmar, qui se trouvait alors adjoint à l’État-major de l’année d’Alsace, a procédé à cette opération et détient actuellement le dossier dont il a bien voulu nous donner connaissance.
    Le maire allemand de Mulhouse, Cossmann, après la fuite de toutes les autres autorités, procéda à une enquête sur les événements de Bourtzwiller qui avaient amené l’arrestation, sous prétexte d’assassinats de soldats allemands, de soixante-dix-huit personnes, qu’on dut relâcher après interrogatoire de témoins qui établit leur innocence. Ce sont les éléments de cette enquête qui constituèrent le dossier que nous avons entre les mains.
    Pièce I. — Déposition de la femme X… : « Effrayée par les coups de feu qui se rapprochaient, je me suis réfugiée à quatre heures et demie du matin dans la cave de la ferme Schott…
    Subitement, on cria : « Alles heraus ! » (Tout le monde dehors ! ) Les soldats nous traînèrent hors de la cave ; les hommes, c’est-à-dire Schott, un de ses domestiques, son fils de dix-sept ans, Ignace Nieck et son fils, Paul Nieck, âgé de vingt ans, furent emmenés à coups de crosse à travers champs, vers la maison de Pierre Fimbel où ils furent fusillés. Schott fut accusé d’avoir tiré sur des soldats et exécuté malgré ses protestations d’innocence ; les autres n’ont même pas été entendus. Il est impossible que Schott et les autres fusillés aient tiré sur des soldats, car nous étions tous à la cave, serrés dans les coins, de peur. »
    Pièce II. — « Un ouvrier déclare au maire Cossmann que les soldats allemands ont fait coucher des civils échappés du village dans le fossé de la route.
    « Vers trois heures et demie, dit-il, le petit enfant de Joseph Trantzer, propriétaire de la tuilerie, vint vers nous et me dit d’aller chez eux, les soldats prétendant qu’on avait tiré de leur maison et voulant l’incendier. J’ai essayé de garder le petit auprès de moi, parce que le logement Trantzer brûlait déjà ; mais il se sauva, bien qu’il fût en chemise. Pendant que j’étais dans le fossé, les Allemands mirent le feu à la fabrique Bernheim. Ensuite un petit lieutenant, dont je n’ai pu voir le numéro de régiment, à cause de l’obscurité, me questionna au sujet du propriétaire de la fabrique Kuneyel (citoyen français). Après que je lui eus donné le nom, il déclara : « On a tiré de cette fabrique… Allez les hommes !… Incendiez « tout ! » — Cela fut fait immédiatement. — J’ai vu ensuite comme un soldat allemand a tiré vers la maison Schlegel. Le même officier revint et dit : « Vous « entendez !… On a de nouveau tiré d’une maison !… » A la suite de cela, la maison Schlegel fut incendiée, et il en fut ainsi d’une maison après l’autre. Je puis affirmer que, pendant tout le temps, aucun coup de feu n’a été tiré de ces maisons ou fabriques. Après qu’on nous eut chassés de notre maison, elle fut également incendiée. L’officier en question déclara encore : « Tout le village doit être la ‘ « proie des flammes, et vous devriez tous être fusillés. »