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de plus belle aux oreilles du Michel allemand, qui ne demandait qu’à tout croire, depuis l’Empereur jusqu’au dernier des folliculaires. Ne fallait-il pas justifier les crimes de la soldatesque, ennoblir les exploits funèbres des sous-marins et représenter les conquêtes comme une nécessité de la défense de l’empire ?

Ce bon peuple, — à de rares exceptions près, — a donc été et est encore aujourd’hui de corps et d’âme avec son seigneur et ses chefs militaires. Comme la meute haletante d’une chasse infernale, le ventre creux, surmontant les privations et les souffrances, il a poursuivi le triomphe certain, qu’on ne cessait de lui montrer. La Russie abattue a été sa première proie à dévorer. Malgré le sang qui coule de ses blessures, il est retourné furieusement à l’assaut du front occidental, pour capturer enfin la victoire, dont les ailes frémissantes échappent chaque fois aux mains prêtes à les saisir.

Pouvons-nous espérer que le peuple allemand, dégoûté des mensonges, dont on le nourrit à défaut de viande et de pain, en aura bientôt assez des tueries où on le jette sans compter ? Fera-t-il entendre à ses maîtres le grondement de la bête qui se révolte ? Saura-t-il, en montrant les dents, les contraindre à l’épargner ? Si la presse ennemie n’était pas bâillonnée par l’état de siège, quelques voix audacieuses parviendraient peut-être à persuader à la victime de se refuser au sacrifice. Mais nous n’en sommes pas là. Les précautions sont trop bien prises, la discipline trop puissante, pour que l’ordre de cesser le feu soit donné, avant que le haut commandement ait désespéré de la victoire. Je ne vois que le supplice de la faim qui puisse faire tomber les armes des mains de ce peuple fanatisé. Lui seul vient à bout de toutes les résistances.

Et ensuite qu’adviendra-t-il, si tant d’efforts, de vies et de milliards ont été prodigués en vain ?

Pour peu qu’on ait étudié la psychologie de nos ennemis, on ne gardera aucune illusion. Les Allemands, y compris les plus intelligents, nous en voudront longtemps du mal qu’ils nous ont fait et du mal qu’ils n’ont pu nous faire. L’orgueil teuton est incapable de repentir. Le regret des conquêtes manquées hantera l’esprit des jeunes générations. Les calomnies et les fables, répandues sans relâche sur l’origine et la légitimité de la grande guerre, continueront de retentir, comme un écho