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cœur de tout homme épris de justice, peut conquérir pacifiquement le monde rien que par la grâce accueillante et l’hospitalière courtoisie auxquelles il a dû jadis la réputation d’être le paradis des amoureux de la route. Dans un manifeste récent dont il importe de se pénétrer, M. Ballif, président du Touring-club, exposait comment, en quelques années, sans rançonner nos visiteurs, ce qui serait le plus sûr moyen de les mettre en fuite, nous pouvons récupérer les milliards jetés par centaines au creuset dévorant de l’horrible guerre[1]. Ce point de vue économique est, certes, à considérer ; mais un résultat beaucoup plus important doit être atteint : c’est de faire aimer notre France lorsqu’on la connaîtra de près, autant que de loin on l’admire aujourd’hui. Et pour cela, il lui suffira d’être elle-même. Qu’elle ne néglige rien des apports constants du progrès, mais qu’elle ne renie pas ses séculaires traditions ; qu’elle se garde de son penchant à l’imitation, elle n’y réussit guère, et ce n’est pas se rajeunir que se maquiller ; qu’elle ne s’engoue plus de l’exotisme, des Palaces cosmopolites, du personnel hôtelier austro-boche dont la voilà débarrassée ; elle n’a qu’à reprendre son honnête tournure avenante pour charmer et pour recouvrer sa suprématie. Qu’elle redoute surtout, s’efforçant de tirer des événements une leçon qui serait plus néfaste que profitable, de se modeler sur certaine organisation trop vantée, sur une « culture », dont il est à craindre qu’elle trouve encore chez nous des preneurs, bien qu’elle n’ait porté comme fruits que désastres, cruautés et retour à la barbarie. Pour finir sur un mot de celui qui, parmi tous les voyageurs passés, se montra le plus pénétrant et le plus perspicace, n’oublions pas que Sterne écrivait, revenant de flâner chez nous : « Je suis d’avis que le plus sage est de prendre sur soi de vivre content, sans science étrangère ni progrès étranger, spécialement dans un pays n’ayant absolument besoin ni de l’un ni de l’autre. »


G. LENOTRE.

  1. Lectures pour tous, 1er juillet 1913.