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à la vie présente et à son avantage personnel ; alors les recettes par lesquelles il augmente sa richesse, ses prises sur le monde physique, ou son pouvoir sur les volontés, servant à lui seul, la disproportion et l’anarchie sont les caractères de cet égoïsme qui par sa préférence d’un à tous perpétue la lutte de tous contre tous. L’intelligence de la vie s’accroît dans l’homme à proportion qu’il apprend à s’oublier, et sa science devient plus libératrice et plus tutélaire à mesure qu’il sert par elle une durée supérieure à lui. La famille est la plus restreinte des existences collectives, et c’est par elle que la civilisation commence. Elle s’étend par les sociétés nationales, mais reste encore partielle pour les races dont chacune s’aime comme si elle était seule, borne à soi son estime, sa sollicitude, ses devoirs, et tire de sa culture le goût et le moyen de devenir usurpatrice envers toutes les autres. Cette avarice fut celle des sociétés antiques. Même la Grecque et la Romaine, se considérèrent comme une élite d’essence et de race, et tinrent le reste du genre humain comme une masse inférieure de nature, condamnée à la barbarie à perpétuité, qu’il n’y avait pas à servir, dont il y avait à se servir. C’est pourquoi ces sociétés furent, même à leurs plus grandes heures, et par leurs plus grands hommes, stérilement belles.

L’intelligence de la vie fut un don du christianisme. Par lui, l’homme apprit que la nature fait différents les hommes sans les faire inégaux, que par leurs aptitudes diverses ils se trouvent les collaborateurs d’une œuvre commune, et que toutes les fondations d’inégalité, l’esclavage du vaincu, l’abaissement de la femme, l’oppression du faible, devaient doucement être aplanies dans les demeures de frères. C’est au moment où les frontières rompues de l’Empire laissaient entrer dans l’histoire les barbaries vierges et féroces, que le sacerdoce apparut au milieu des exterminations, portant dans ses mains désarmées le double et indivisible présent de la science humaine et de l’Évangile. Et pour avoir révélé aux races avides un séjour plus beau et plus durable que les terres conquises par l’épée, et, plus noble que les fables des origines rivales, le titre, commun à tous les hommes, de leur filiation divine, il inspira, malgré la dureté de ces jours, à ces ennemis d’hier communiant dans le Christ, le premier dessein d’établir pour tous sur la terre le respect, la justice, la miséricorde, la bonté.