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Le fonctionnement de cette fertile institution des Compagnons du Tour de France est resté longtemps un mystère, — un secret, pour dire mieux : — au cours du XIXe siècle seulement fut révélé l’occulte groupement de ces travailleurs nomades, liés par des engagements et des statuts très anciens et qui trouvaient en chaque ville de notre pays, non seulement aide, protection, avis des spécialistes de leur métier, mais une Mère empressée à réconforter les énergies chancelantes et à remonter les défaillants. Miracle d’organisation, œuvre des siècles, dont l’histoire est trop belle et trop complexe pour n’être qu’effleurée. C’est à l’influence de ces artistes ambulants qu’il faut attribuer la rapide diffusion du gracieux style en faveur à la fin du XVIIIe siècle elle nombre de jolis motifs qu’on retrouve dans les maisons les plus modestes des bourgs les plus écartés : bas-reliefs d’Amours à la Clodion, trumeaux de paysanneries, cadres de glaces délicatement enroulés, boiseries à gerbes, à feuilles et à paniers de fleurs enrubannés, grilles de fer ouvragé, marbres de cheminées à larges rinceaux, moulures enguirlandées, rampes d’escalier, peintures on grisaille ou en camaïeu, « trompe-l’œil » habiles, « morceaux » laissés par les Compagnons en reconnaissance de l’hospitalité reçue tandis qu’ils étudiaient quelque monument de la région ou entrepris « au pair » pour le plaisir de se faire la main. Ces échantillons du dernier goût devenaient modèles aux ouvriers locaux et stimulaient leur routine provinciale. Aussi n’y avait-il guère en France de bourgade si perdue où ne se rencontrât, en chaque profession, un artiste : on trouve de belles armoires à panneaux sculptés en plein bois, qui sont signées d’un menuisier villageois et portent comme lieu d’origine le nom de quelque localité ignorée, et on s’étonne de découvrir, dans des chefs-lieux de canton à présent réfractaires à toute influence artistique, des dessus de portes d’un pinceau léger, et des bouts de boiseries dont les harmonieux chantournements décèlent la gouge d’un amoureux.

Il est extrêmement rare, de nos jours, que l’ouvrier de province ne soit pas un simple manœuvre confiné dans sa besogne coutumière, sans idées, sans goût, sans connaissances autres que les plus rudimentaires. Pour le moindre travail décoratif, il faut avoir recours au spécialiste du chef-lieu : il feuillette des albums de photographies, étale d’offensantes chromos, le tout offrant l’horrible image de « ce qui se fait de plus joli en ce