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la foire de Juin s’ouvre par une grande procession de la magistrature, proclamant l’ouverture de la fête à tous les carrefours ; durant quinze jours « on vit en plein air, on chante, on danse sous trois avenues d’ormes superbes. » A Bordeaux, il y a la Saint-Jean, date où toute la ville s’éclaire de feux de joie ; les quais, les rues, les promenades s’emplissent d’une foule en habits de gala ; tous, même les mendiants, tiennent un bouquet, des fleurs, ou des croix de feuillage à la main, talismans contre le mauvais sort : on enflamme des barils de goudron sur lesquels, aussitôt qu’on y a mis le feu, les gens du peuple se bousculent pour tracer un signe de croix ; puis on lance ces brûlots à la rivière, au bruit du canon, des coups de fusil, des fusées, des pétards, de la musique, des cris de joie : ces incendies mouvants, descendant le courant, illuminent le fleuve et les navires en rade, « spectacle rare et magnifique[1]. » A Toulouse, la Fête-Dieu se prolonge durant huit jours ; « toutes les maisons de la ville sont ornées de tapisseries, de draps de lit piqués de roses, de toiles tendues ou froncées, de soies unies ou à fleurs : » d’une extrémité à l’autre, les plus longues avenues sont bordées d’arcades en branchages « enguirlandées de fleurs, de rubans de soie, d’étoffes de différentes couleurs, de petits drapeaux verts taillés en forme de feuilles de palmier. » On se presse avec recueillement pour assister au passage des Capitouls, en grand costume, la traîne de chacun d’eux portée par quatre ou six pages, magnifiquement habillés ; des prêtres revêtus de chapes « d’une richesse inouïe ; » des petits enfants effeuillant des fleurs : du dais « admirablement brodé » et empanaché, avançant lentement sous les verdures triomphales parmi les fumées de l’encens[2]. La ville regorge d’étrangers : plus une mansarde vacante dans les hôtels ; les tables d’hôte sont « composées de la meilleure société » et chacun, en l’honneur de la fête, revêt ses plus beaux habits. Mme Cradock voit, à la table du Griffon d’or, une auberge modeste, « des toilettes flamboyantes, en étoffes tissées d’or et d’argent, » et une élégance, des façons, une politesse qui dépassent tout ce qui l’a, en ce genre, le plus frappée à Paris.

Hélas ! A lire ces choses, on songe à nos mornes fêtes de sous-préfectures, dont l’invariable attraction est une manœuvre

  1. La vie française, p. 207.
  2. Idem, p. 188.