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RÊVERIES D’APRÈS GUERRE
SUR
DES THÈMES ANCIENS

VI. [1]
LE PARADIS DES VOYAGEURS

Si grande que soit l’indulgence attendrie avec laquelle on considère les choses du passé, on outrerait le paradoxe à soutenir que la façon dont nos pères voyageaient était préférable à la nôtre, et on atteindrait le ridicule en préconisant le retour aux moyens de locomotion dont ils disposaient. S’ils en avaient eu le choix, ils auraient abandonné la Turgotine ou le coche d’eau et pris l’express. Il ne s’agit donc pas de dénigrer témérairement et de parti pris la prodigieuse modification apportée par la multiplicité des « voies rapides » ; mais il n’est pas interdit d’exprimer un regret platonique : lenteur, fatigues, chevaux étiques, postes mal pourvues, pas dangereux, postillons indociles, voitures versées, auberges pleines, tant de difficultés, de retards et d’embarras seraient sans charmes pour nos gens d’à présent, et peut-être bien nos pères eux-mêmes trouvaient-ils à ces inconvénients moins d’attraits que nous ne nous plaisons à l’imaginer.

Cette manière de courir les routes présentait du moins un agrément prééminent qui nous est inconnu : celui de la diversité et de l’imprévu. Le spectacle se renouvelait à toute minute : « on avait le temps de voir le pays, de remarquer les mœurs et les costumes, bien plus variés que ceux d’aujourd’hui[2]. » A peine descendus du paquebot, les Anglais, au

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 mai 1917, 15 mars, 1er avril et 1er août 1918.
  2. Adolphe Vautier. Voyage en France, relation de Locatelli, préface. XXXV.