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semé, elle rentre dans la règle du jeu, Il faut, quand on empoche ce qu’on a pu y gagner, prévoir ce qu’on peut y perdre. La position du principe nuovo, plus encore que le métier de prince en général, a ses risques, surtout lorsqu’on est parvenu au principat per scelleratezze. Les greniers de l’Oukraine vidés, ses villages dévastés, ses terres confisquées, ses paysans allâmes pour apaiser la faim de l’Allemagne, asservis au travail forcé, ses chemins de fer et ses ports exploités à fond pour la dépouiller, tout se paie : un fou survient qui croit tout faire payer d’un coup. La tyrannie appelle le tyrannicide. Ainsi est mort le maréchal von Eichhorn, qui personnellement n’eut peut-être pas l’âme d’un tyran, mais en qui s’incarna la tyrannie allemande : en le tuant, c’est l’Allemagne dominatrice, usurpatrice, qu’une main russe a voulu frapper.

Pour les mêmes causes, par les mêmes procédés, les mêmes difficultés qu’elle rencontre, les mêmes périls qu’elle suscite contre elle-en Oukraine et dans d’autres régions de l’ancien empire des Tsars, l’Allemagne les rencontre et se les suscite, les mêmes rigueurs attisent les mêmes haines en Roumanie. Là aussi, elle s’est attaquée aux personnes et aux choses, à l’homme et à la terre; là aussi, dans une prétendue paix, elle continue de faire la guerre aux individus et à la nation. Sous le couvert d’une comédie judiciaire, elle a entamé contre ce qui fut le ministère Braliano des représailles qu’elle n’a peut-être fait qu’ajourner contre la dynastie même, contre le roi Ferdinand, coupable à ses yeux d’avoir été plus roi et plus Roumain que Hohenzollern, contre la reine coupable de n’être pas assez Cobourg et de choisir ses amitiés. Déjà lève le grain de révolte que la politique allemande a semé. Il paraît que, sollicité d’envoyer d’urgence à Ludendorff, mal en point dans son offensive de la Marne, les divisions disponibles, Mackensen aurait répondu qu’il n’y avait ni en Valachie ni en Moldavie un soldat qu’il pût détacher. Pour les mêmes causes aussi, ou des causes analogues, d’autres orages s’amassent dans le Nord. L’Allemagne, dont le dessein était de se faire de la Finlande « un pont » vers l’Océan glacial, n’est qu’à demi satisfaite d’une solution qu’elle-regarde comme une demi-solution. Elle pousse, elle presse, elle exige là-bas l’institution d’une royauté, qui serait une vice-royauté, une pseudo-royauté placée féodalement dans la mouvance de la couronne prussienne. Berlin ne se contenterait même pas d’un prince-allemand, il le lui faut prussien : le duc d’Urach et la maison de Wurtemberg en ont fait récemment la claire expérience; la maison de Saxe, si elle ne retient pas ses ambitions, la fera ailleurs, et la