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ses autres sources dans l’esprit et dans l’âme, tire en grande partie son origine d’une vanité sans bornes. Il peut lui dire et lui faire croire tout ce qu’il veut, rien que parce qu’il est l’Empereur allemand et parce que c’est le peuple allemand. De l’Empereur au peuple, il n’y a pas seulement une vérité, mais une vérité « allemande, » die deutsche Wahrheit;— et, du peuple à l’Empereur, non pas seulement une fidélité, mais une fidélité « allemande, » die deutsche Treuheit. L’Empereur ne peut pas « nous» mentir, précisément parce qu’il est nôtre; le peuple ne peut pas « me » démentir, précisément parce qu’il est mien. Entre le peuple et l’Empereur, il y a le lien, la chaîne, le serment, le ciment. Il y a la probité allemande, la sincérité allemande, toutes les qualités spécifiques, toutes les vertus privilégiées de la nation allemande, miroir et prototype de sur-humanité. On ne surprend pas un Allemand, on ne le trompe pas, on ne le « refait » pas. Un autre Allemand moins que tout autre homme, et son Empereur moins que tout autre Allemand.

De la totale crédulité allemande, la totale crédibilité de « notre Empereur, » de « notre Hindenburg. » En dehors de ce que nous disent « notre Empereur» et « notre Hindenburg, » il ne peut pas y avoir un mot de vrai, et il ne peut pas, dans ce qu’ils nous disent, y avoir un mot d’inexact. Ainsi raisonne, ou même, sans raisonner, sent, réagit, tout Allemand d’un bout à l’autre de l’Allemagne. C’est pourquoi, dès le début, la censure allemande n’a pas vu d’inconvénient à laisser imprimer dans les journaux les communiqués français, sûre que le lecteur, vacciné par son amour-propre, mariné dans l’orgueil de la supériorité’ nationale, n’y trouverait qu’une preuve supplémentaire de l’imagination perverse et de la mauvaise foi des Welches. Cependant, soit dans la proclamation au peuple, soit dans celle à l’armée et à la marine, se rencontrent deux affirmations un peu fortes. Dans la première, à l’usage du peuple, Guillaume II assure qu’à l’Orient, en Russie et en Roumanie, la paix allemande est « garantie par les traités. » Jusques à quand? Dans la seconde, à l’usage de l’armée, qui, elle, sait mieux que lui-même ce qui se passe en Europe, il déclare que « loin de la patrie, notre héroïque petit contingent de troupes de protection lutte ferme. » Où lutte-t-il?

A l’intérieur, malgré cette capacité d’absorption de la cervelle allemande, il semble qu’une inquiétude s’éveille et que l’on soit contraint de faire en quelque manière cautionner les dépêches de Ludendorff et jusqu’aux rescrits impériaux par l’autorité longtemps sans rivale de Hindenburg. On fait parler l’idole de bois, et elle s’exprime avec