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obtenu un plein succès. Bousculés sur toute la ligne, les Allemands ont été contraints d’abandonner la position de résistance qu’ils avaient choisie entre Fère-en-Tardenois et Ville-en-Tardenois et de précipiter leur retraite. » Et le communiqué américain, comme il sonne! « Ce matin, renonçant aux efforts qu’il avait tentés pour arrêter notre avance, l’ennemi a commencé à se replier, étroitement poursuivi par nos troupes. Le feu de notre artillerie a interrompu ses communications et détruit de grandes quantités de matériel. Notre avance, qui a déjà atteint une profondeur de huit kilomètres, continue. » La « position de résistance » ne sera donc plus celle que l’Allemand avait choisie, sur les plateaux du Tardenois, elle est tombée. Ce ne sera probablement pas la ligne de la Vesle, elle est tournée. Sera-ce l’Aisne? mais, le 3, on nous apprend que les divisions de l’armée Mangin « bordent » cette rivière entre Soissons et Venizel. Cependant, comment Ludendorff, avec les précautions d’usage, fait-il part à l’Allemagne de sa déception? Jamais la rude langue des Boches ne s’était montrée si souple, si melliflue. Ce que nous appelons: « précipiter la retraite, » ils l’appellent : « relâcher ou ralentir le contact avec l’ennemi; » et ils appellent « une grande bataille d’arrière-garde » cette « avance » et cette « poursuite » où ils détalent à de telles enjambées qu’il nous faut courir envoler pour ne pas perdre leur trace. Il y a bien eu, en effet, une grande bataille, ou même toute une série de grandes batailles; mais nous les avons gagnées. Jamais non plus l’Allemagne ne les connaîtra par son État-major. Comme elle a ignoré officiellement notre première victoire de la Marne, elle ignorera la seconde. Et jamais personne en Allemagne n’aura la curiosité de demander par quel miracle il peut se faire que l’Empire toujours triomphant ne soit point venu à bout, en quatre années entières, de l’adversaire toujours vaincu. Encore Ludendorff a-t-il de la bonté de reste de dire ou d’écrire quoi que ce soit; il n’aurait qu’à se taire, nul ne l’interrogerait. Mais, en ce moment, pour lui-même, si ce n’est pour un public qu’il dédaigne et qui ne compte pas, il sent la nécessité de parler. Voici, subitement, que Hindenburg, escamoté aux jours radieux, réapparaît dans les radiotélégrammes, dès qu’il s’agit d’ordonner la retraite et d’endosser les responsabilités ; il redevient unser Hindenburg, « notre Hindenburg, » moins généralissime que fétiche; l’astucieux et ambitieux Ludendorff se couvre de sa large carrure. Nous ne savons pas si, comme le bruit en a couru, ils ont été en dissentiment sur l’opportunité de l’offensive de Champagne ; en tout -cas, maintenant que cette offensive a été engagée et qu’elle est