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être ; ne pensons pas trop tôt à ce qui sera; prenons, tel qu’il est, ce qui est; apprécions en lui-même, aimons, honorons pour lui-même ce cher présent, acquis, fixé, certain. De quelles acclamations n’aurions-nous pas salué, il n’y a guère que trois semaines, celui qui nous aurait annoncé seulement que cette cinquième offensive allemande, d’apparence si redoutable, serait brisée sur place, et que nous tiendrions en respect, assez heureusement pour que le renfort américain pût arriver, non à son plein, mais déjà à son utile effet, les cinquante divisions dont la défection russe et la soumission roumaine avaient rendu à Hindenburg la disposition contre nous? La prédiction est aujourd’hui réalisée, et au-delà. Nous avons fait mieux que de briser la grande « offensive de paix ; » nous faisons mieux que de tenir les armées allemandes en respect; mieux que de les grignoter, de les user, nous les battons, nous les démolissons. A n’en mesurer même que les éléments pondérables, la balance des forces penche nettement en notre faveur, mais qu’est-ce donc, si nous y ajoutons, comme il convient, le poids des impondérables? L’avantage positif, réel, matériel, est visible et tangible ; quant à l’avantage moral, il est plus difficile à mesurer, mais c’est précisément le cas de dire qu’il est « immense. » L’initiative reprise, notre volonté réveillée, notre confiance ranimée et comme rallumée, notre patience retrempée. Bien plus. Dans cette bataille que soutiennent simultanément cinq armées, Mangin, Dégoutte, Mitry, Berthelot, Gouraud, avec des soldats de quatre nationalités au moins, Français, Anglais, Américains, Italiens, on sent qu’une pensée circule, une seule pensée dont l’unité articule la diversité de l’action ; que personne ne s’agile et que quelqu’un mène ; on a, pour la première fois depuis longtemps, et peut-être pour la première fois absolument, au camp des Alliés, l’impression que la guerre est conduite.

Quand nous disons : « ce n’est pas le comble de nos espérances, » nous voulons dire : ce n’est pas encore la fin dans la victoire, ce n’est pas encore la victoire de la fin. Mais c’est parfaitement, pleinement, une seconde victoire de la Marne, et c’est la promesse, le gage, le commencement de la victoire finale. Il est trois ou quatre heures du matin. Il filtre, à travers les persiennes, un rayon pâle et faible encore; pas même un rayon; à peine, dans l’épaisseur noire de l’interminable nuit, une mince raie un peu plus blanche : mais c’est néanmoins le soleil. Écoutez le communiqué français du 2 août, comme le coq y chante! « Les attaques menées depuis deux jours par nos troupes et les unités alliées sur le front au Nord de la Marne ont