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Quelque exagérés que puissent être, comme nous serons obligés de le conclure, les espoirs qu’il n’a pas cessé de fonder sur cet engin, quelle que puisse être par ailleurs la supériorité ou l’infériorité du canon Archer par rapport à d’autres canons analogues étudiés depuis, il faut rendre à ce jeune ingénieur l’hommage que mérite son énergie. C’est toujours beau de lutter sans crainte et sans trêve pour une idée qu’on croit juste, même quand cette idée n’est peut-être pas tout à fait juste ; c’est toujours beau d’avoir la foi, même quand cette foi trouve des incrédules, même quand les faits donnent de faciles arguments à ces incrédules.

Le mérite d’Archer est d’avoir, le premier en France, voulu énergiquement doter notre armée en guerre d’un bon canon accompagnant l’infanterie. Ce n’est pas un mince mérite.

Car, entre désirer ou souhaiter une chose utile à son pays, et la vouloir, il y a mieux qu’une nuance, il y a un abîme, il y a l’abîme qui sépare la pensée de sa réalisation, la conception de l’acte. Et, dans cet abîme, il y a toutes sortes d’obstacles, toutes sortes de monstres infernaux dont les gueules vomissent, comme sur le chemin d’Orphée aux Enfers, des flammes brûlantes et des encens empoisonnés : il y a la force d’inertie, la plus grande force de la terre ainsi que prouve la mécanique rationnelle, il y a la routine, il y a le misonéisme, il y a même quelquefois l’intérêt et la vanité. Et pourtant, je demande grâce pour tous ces monstres qui se mettent parfois sur le chemin d’un progrès technique, et je voudrais avoir la permission de plaider ici leur cause, car je suis convaincu que d’un côté comme de l’autre dans ces controverses, dans ces luttes pour ou contre une idée, pour ou contre une arme nouvelle, on est neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois sur mille de bonne foi, et on a également en vue le bien du pays. — Le misonéiste, le routinier à qui on apporte un engin nouveau, il y a du vrai dans sa méfiance : il y a que l’ « expérience étant la source unique de toute vérité, » suivant la parole immortelle de Henri Poincaré, on n’a point le droit de le considérer comme bon avant la sanction de l’expérience, tandis que les engins auxquels veut se substituer le nouveau, l’ont, eux, cette sanction, puisqu’ils existent. L’intérêt et la vanité de ceux que va déranger l’arme nouvelle n’ont pas moins de bonnes raisons pour se rebiffer : n’est-il pas naturel et humain que chacun de nous identifie son propre intérêt à l’intérêt général au point que, lorsque le premier est lésé, il nous semble qu’on meurtrit le second ; cela n’a-t-il pas comme heureuse contre-partie que nous aurons ainsi souvent