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SUR LA CÔTE MOURMANE

Que de choses nous apprend cette guerre ! « L’honnête homme » de chez nous, — j’entends des plus cultivés et sachant même la géographie, — savait-il qu’au-delà de ce cap Nord de Norvège, où l’on allait voir le soleil de minuit rouler le long de l’horizon, s’étendait une côte qui, en plein hiver de l’Arctique, restait ouverte à la navigation, grâce à quelques restes de la chaleur apportée des Antilles par le Gulf-Stream expirant ?

J’avoue, pour ma part, que je n’ai dû de connaître cette curieuse particularité du littoral lapon qu’à un événement de mer qui, il y a quelque vingt-six ans, par une nuit venteuse de notre automne, jeta le brick norvégien Selma sur les cailloux aigus de l’entrée de la Rance. Je commandais là une petite division de garde-pêches. Au jour et dès que je pus sortir du bassin de Saint-Malo, je me hâtai vers le bateau échoué que j’espérais tirer du plain en attelant sur son arrière mon aviso-torpilleur, la Sainte-Barbe.

Je n’y réussis pas complètement. La vaillante petite Sainte-Barbe avait plus de bonne volonté que de puissance… Nous avions cependant, en peinant beaucoup, « décollé » le brick, de sorte que, la nuit suivante et tandis que nous charbonnions, un changement de vent et une assez forte marée le renflouèrent. Mais, entre-temps, j’avais vu sur le tableau de poupe du Selma, à côté de ce nom, celui de son port d’attache, Vardö ou Vardoe[1].

Vardö ? Qu’était-ce que ce havre à peu près inconnu ? Renseignements pris dans les Instructions nautiques, il s’agissait

  1. Vardö ou Vardoe se prononce Vardau ; oe ou ö signifie île en norvégien.