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Le disciple admirait le maître tout entier, ou, plus exactement, en toute œuvre du maître il trouvait, — avec raison, — quelque chose d’admirable. Ainsi, dans Luisa Miller :


« Quando le sere al placido
Chiaror d’un ciel stellato


« Ah ! si tu savais ce que cette cantilène (divina cantilena ! ) réveille d’échos et d’extases dans l’âme italienne, et surtout dans l’âme de qui l’a chantée depuis sa plus tendre jeunesse ! Si tu savais ! Jeunesse ! Patrie ! Musique ! Amour ! Hélas ! hélas ! »


Pour la finesse et la justesse du sentiment, citons cette analyse, — que nous traduisons à regret, — du prélude du dernier acte de la Traviata :


« Subtil, au sens latin de gracilis, exilis, voilà véritablement l’épithète nécessaire pour qualifier cette page émouvante. Le mot français répond à certaine expression de la langue italienne. Nous disons d’une personne qui meurt phtisique : Muore del mal sottile. Il semble que ce prélude le dise avec des sons, des sons aigus, tristes et grêles, presque immatériels, éthérés, malades et tout près de mourir. Que la musique ait le pouvoir de réaliser l’atmosphère d’une chambre close, où l’on veille un malade, à l’aube, l’hiver, qui l’aurait pu croire avant que ce prélude fût écrit ? Quel silence ! Quel paisible et pénible silence, fait de sons ! L’âme de la mourante, qui ne tient plus à son corps que par le fil le plus ténu, par un souffle, et qui reprend deux fois, avant de se détacher, son dernier souvenir d’amour ! Arte latina ! Arle divina, divina ! Cher, cher ami ! Cet homme était un artiste prodigieux, un génie, un génie de la musique et du théâtre. Dans un mois et demi, dix ans auront passé depuis la nuit où je l’ai vu mourir ! »


Cette mort, dont, après dix années, il restait encore et devait toujours rester inconsolable, Boito nous en avait naguère annoncé l’approche par le billet que voici, tracé d’une main tremblante :


22 janvier 1901.

« Ce que vous lisez dans les journaux n’est que trop vrai. Le maître se meurt. »