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ARRIGO BOITO

LETTRES ET SOUVENIRS

Verdi, voilà tantôt vingt ans ! Pie X, aux premiers jours de la guerre ! Boito, il y a quelques semaines ! C’en est fait des plus nobles, des plus saintes amitiés. Le long des chemins d’Italie, s’il nous est donné de les suivre encore, nous marcherons entre des tombeaux. Sur celui qui vient de se fermer, on pourrait écrire : Arrigo Boito, Milanese. C’est à Milan que le poète-musicien a vécu presque toute sa vie et qu’il est mort. Mais il était né à Padoue, et Dante, son Dante bien aimé, l’accueillant parmi les ombres, n’aura changé qu’un mot, le dernier, au salut qu’il adresse à Virgile : « O anima cortese Padovana ! »

Anima cortese. Il y a plus de choses dans l’expression italienne, que le français n’en saurait traduire. Elle dit mieux, non seulement la distinction et l’urbanité, mais l’amitié la plus fidèle et la plus généreuse, avec je ne sais quelle grâce, exquise et tendre, de l’esprit et du cœur. Un pouvoir singulier d’attirer et de séduire dès la première rencontre, le don de gagner la sympathie et l’affection, le soin de la garder et de l’entretenir, voilà ce qu’on se rappelle d’abord, — avec quel regret ! — lorsqu’on se souvient d’un tel ami. Aussi bien c’est lui-même, lui seul, peut-être supérieur encore à son œuvre, — pourtant insigne, — de poète et de musicien, dont nous voulons évoquer ici la mémoire.