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Ainsi, elle connaissait la Mère Louise-Angélique et elle était en relations avec elle dès avant son mariage. Les relations durent être interrompues au cours des mois pendant lesquels Mlle de La Vergne habitait Champiré ; mais elles reprirent quand Mlle de La Vergne et sa mère revinrent à Paris, les premiers jours de décembre 1654. Et nous sommes alors à peu de semaines du mariage : le mariage s’est fait, je l’ai dit, extrêmement vite.

La Mère Louise-Angélique était alors une personne très différente de ce que nous l’avons vue en 1637. Elle avait trente-six ans ; elle était religieuse depuis quelque dix-huit ans ; les charges qu’elle avait occupées à la Visitation, comme aussi le souvenir de son aventure et le fidèle attachement de la reine lui valaient beaucoup de considération. Le 19 mai 1637, quand elle était arrivée aux Filles Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine, elle cherchait un refuge. Sa grande piété n’empêchait pas qu’elle ne fût alarmée, une âme en peine et qui aura besoin de temps pour s’apaiser. Elle se précipite à la vie religieuse avec un zèle qui trahit son inquiétude. Peu de jours après son arrivée au couvent, la reine l’y vint voir. Elle n’avait pas encore l’habit ; mais, afin de marquer sa rupture avec le monde, elle s’était accoutrée singulièrement. « Elle alla recevoir la reine les cheveux couchés sous son bonnet, une façon de serviette pliée en biais à son cou, des demi-manches attachées à celles de sa robe, qui lui serraient les bras jusqu’aux poignets. Elle avait aussi enlevé le bourrelet de sa jupe, qu’elle avait fermée, contre la mode du temps. » Sa Majesté, en la voyant, ne retint pas ses larmes ; et toutes les dames qui accompagnaient Sa Majesté pleuraient pareillement. Une des amies de Mlle de La Fayette ne put la souffrir en cet « équipage » et lui dit : « Ma chère, es-tu folle, de t’habiller ainsi ? » Elle répondit un peu sèchement : « Je croyais vous avoir laissé la folie, en laissant le monde ! » Il y a de l’acidité dans son esprit. Dès son arrivée au couvent, elle rechercha tous les stratagèmes de mortification, réclama de balayer le monastère, laver la vaisselle, servir les malades, porter les lessives, enfin les besognes basses et répugnantes. « Jamais elle n’était contente que lorsqu’elle avait la hotte sur le dos… » Elle eut quelque temps le soin de la basse-cour, les pieds dans des sabots. Elle mangeait la nourriture la plus vile et les parties gâtées des fruits, voire les vers qui s’y mettent,