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connaisseur. Il ajoute « fort aimable » : et il entend qu’elle valait bien d’être aimée ; l’on sait ce qu’il entend par là. Guy Joly déclare qu’elle était « fort bien faite. » Mais, Guy Joly, ce n’est rien. Je m’en rapporte beaucoup mieux à tel ami des femmes, et qui les a insultées autant qu’il était curieux d’elles, Bussy. On lit dans le Pays de Braquerie : « La Vergne est une grande ville fort jolie… » Les louanges de Bussy, prenons-les pour justes : c’est à décrier qu’il perd la mesure. Et il n’eut aucune amitié pour Mlle de La Vergne ni pour Mme de La Fayette, qui d’ailleurs ne l’estimait pas. Sur la beauté de Mlle de La Vergne, nous avons un autre témoignage : le sien. Le 6 novembre 1656, après vingt mois de mariage et quand elle a vingt-deux ans, si Ménage est négligent à lui écrire, elle feint qu’il se détache d’elle et le réprimande : « Vous ne m’aimez plus comme vous avez fait. Vous n’avez point de bonne raison à en dire : je ne suis ni plus laide ni plus sotte que j’étais il y a deux ans. Je suis un peu plus vieille, il est vrai ; mais je suis encore si riche de jeunesse que ces deux années-là ne m’appauvrissent guère… » Une femme qui avoue qu’elle ne se croit pas laide est sûre de sa beauté, sûre aussi du renom de sa beauté. L’année suivante, Mme de La Fayette a été malade et assez durement éprouvée par une grossesse. Ménage redevient exact à lui écrire : « Me voilà donc assurée, dit-elle, que je ne perdrai point votre amitié pour avoir perdu le peu de beauté que j’avais. » Le peu de beauté, c’est modestie. Elle dit, une ligne après : « ma beauté. » Sa beauté de l’année dernière ; ce n’est pas vieux : « J’étais assez jolie, en ce temps-là… » Elle l’est encore, ou ne l’est un peu moins que l’espace de la convalescence. Il est vrai aussi que, de bonne heure, elle perdit la santé : peut-être sa beauté ne fut-elle pas durable. Mais nous sommes à ses vingt ans qui fleurissent.

Comment fut-elle jolie ? L’ennui est que Retz, qui la trouvait à son goût, ne dise pas ce qui l’aguichait en elle. Ou bien, il le dit, d’une manière qui le touchait et qui ne nous est pas sensible. Elle avait, dit-il, « beaucoup d’air de Mme de Lesdiguières. » Il suffirait que nous connussions l’air de Mme de Lesdiguières : nous aurions, par l’analogie, l’air que nous cherchons, l’air de Mlle de La Vergne.

Une Mme de Lesdiguières nous vient à la mémoire. La Bruyère l’a peinte sur le tard, au moment où la dévotion la prit « comme