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appelait ma patrie France ; maintenant, elle a si bien changé qu’elle n’est plus reconnaissable… » Et quelle amertume, dans ces mots : « La France qui n’est plus… La Sicile qui règne à sa place !… » La passion politique l’entraîne : il méconnaît « le Mazarin, » ne devine pas que le salut viendra de ce côté. Son erreur a pourtant un noble caractère, et pathétique.

Le nouvel archevêque de Paris songe à soi. Il se sent habile et fort. Il ne sait pas ce qu’il fera ; mais il a conscience d’être fertile en ressources : à vrai dire, c’est toute la conscience qu’il a. Peu lui importe d’être ou de n’être plus archevêque : il compte sur soi. Mais il lui faut la libre disposition de soi : le tout n’est que de sortir de prison. D’ailleurs, il s’ennuie, entre quatre murs ; son activité s’y ennuie, et aussi sa frivolité. Il donne sa démission d’archevêque, moyennant sa liberté. La cour accepterait sa démission ; mais, sous prétexte que Rome ne l’a point encore acceptée, — et Retz ne spéculait-il pas sur de telles complications pour retirer de son matin renoncement deux bénéfices, la liberté d’abord, et puis le secours de Rome ? toute sa politique est dans la complication, — la cour le garde et lui concède seulement une prison moins resserrée, non plus à Paris, à Nantes. Bref, il a cédé aux conditions de la cour : on ne prévoit pas ce qu’il manigance ; et l’on note son apparente abnégation, qui n’est pas fière. Le 6 avril, le chevalier de Sévigné mande à Madame Royale : « Voire Altesse Royale me pardonnera bien si je ne lui dis pas mes sentiments sur l’action qu’a faite le cardinal. Il est trop mon ami pour le blâmer, et je suis trop sincère pour le louer…  » Ses autres partisans l’approuvent, disent que l’événement le justifiera. Le chevalier n’attend rien de bon. Mais il se réserve  : on doit amener à Nantes le prisonnier ; de Champiré à Nantes, la distance n’est que de treize lieues… « J’aurai la liberté de le voir et, par conséquent, je saurai ses raisons… » Une quinzaine de jours plus tard, Sévigné vit le cardinal, au château de Nantes. Et, quand on voyait le cardinal, on était perdu ; il vous avait bientôt persuadé : « Il m’a dit ses raisons, que je trouve capables de justifier l’action qu’il a faite. » Sévigné ne rapporte pas à Madame Royale ces raisons, qui ont suffi à le convaincre et pourtant ne l’empêchent pas de mettre dans ces mots « l’action qu’il a faite » un reste de colère. Quant aux projets du cardinal, dès qu’il sera en pleine liberté, il se hâtera de faire son