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M. Ménage pour avoir des livres, des romans, le dernier tome du Cyrus. Et M. Ménage tarde à le lui envoyer ; c’est mal : « c’est voler sur l’autel, que de retarder un plaisir à une pauvre paysanne comme moi ! » Pourquoi cette négligence ? Le bruit court que M. Ménage est sur le point d’aller en Suède, — à la poursuite de son Ostrogoth ? — non pas : mais appelé par la reine Christine, si curieuse de réunir autour d’elle une cour des plus beaux esprits de l’Europe. On le dit ; Mlle de La Vergne ne le croit pas : « Je ne crois pas que cela soit véritable, puisque vous ne me l’avez pas mandé. » Il lui disait tout ; il la consultait. Après le dernier Cyrus et avant la première Clélie, que lire ? Est-ce que Mlle de Scudéry ne fait rien ? « Pour moi, je perdrai tout à fait, si elle cesse de travailler. » Voici Clélie enfin : Mlle de La Vergne en lit le premier tome « avec tout le plaisir imaginable ; » et nous avons peine à imaginer ce plaisir.

Cette Mlle de La Vergne est différente de celle qu’on a généralement peinte et que M. Costar nous aurait peut-être fait redouter. Elle n’est pas du tout « incomparable » et elle n’est pas du tout précieuse. Il faut en être satisfait. Car on a tout dit sur les mérites des précieuses, sur le service éminent qu’elles ont rendu à la langue et à la conversation françaises : en dépit de tout, les précieuses sont insupportables. Et l’on a tout dit sur les grâces de l’hôtel de Rambouillet : cependant, l’hôtel est insupportable, avec sa guirlande de Julie, avec son nain de Julie, avec ses bons mots de Mme Cornuel, avec ses petits vers des grands poètes, avec ses plaisanteries et farces de Voiture. Ce n’est pas un joli endroit de sentiment ni de pensée. La liberté même y a quelque chose de guindé. L’art en est petit, petiot, prétentieux. Il n’y a ni verdeur, ni gaieté, ni bonhomie. C’est de l’application, très ennuyeuse. Mlle de La Vergne a été dispensée, préservée de l’hôtel de Rambouillet par son âge. Elle a connu Mme de Rambouillet, Mme de Montausier, Mlle de Rambouillet qui devint la première Mme de Grignan. Et, comme M. Ménage a, de ces dames, des amitiés pour elle, certes elle veut que M. Ménage y réponde bien. Mais Julie, la merveilleuse et l’intolérable Julie, épousa M. de Montausier le 15 juillet 1645 ; trois semaines après, Pisani, le fils unique de la marquise, était tué à la bataille de Nordlingen. Ces deux événements, l’un qui attristait la marquise, l’autre qui lui ôtait le principal attrait de son illustre salon, marquent, pour