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il sert de truchement très affectueux entre son ancien protecteur, lui mazariniste par amour de l’ordre, et Mme de Sévigné la veuve. Les partis n’étaient pas ce qu’ils sont : les gens non plus.

En 1653, M. Ménage est tout consacré au service de Mlle de La Vergne, épris d’elle, on n’en peut douter, d’une manière un peu ridicule, si l’on veut, mais gentille, et qui n’importunait pas Mlle de La Vergne. Il lui dédia ses commentaires italiens de l’Aminte, qui parurent deux ans plus tard, en un beau livre, chez Augustin Courbé : Aminta, favola boscareccia di Torquato Tasso, con le annotazioni d’Egidio Menagio, accademico della Crusca. Le livre est précédé d’une longue lettre en italien, 17 janvier 1654 : A l’illustrissima signora Maria de La Vergna, mia Signora e Padrona colendissima. Et il énumère complaisamment ses qualités : « beauté, charme, gentillesse, bonté, vertu, bienséance, plaisantes manières, douceur habituelle, vivacité de l’esprit, un génie perspicace, un jugement très pur en toutes choses et, à un âge si tendre, un savoir très varié, merveilleux. » Depuis longtemps, il souhaite de faire paraître au monde la dévotion, l’admiration qu’il a pour elle, en lui dédiant une de ses œuvres : voici ses notes sur l’Aminte. Aussi bien Mlle de La Vergne a-t-elle un goût particulier pour la langue italienne ; et, parmi les poètes italiens, pour le Tasse ; et, parmi les œuvres du Tasse, pour l’Aminte. Il le sait : elle le lui a dit ; et il l’a éprouvé lui-même, le dernier printemps, lorsqu’il était auprès d’elle, à Champiré. Car il a fait un séjour au château de l’exilée. Je crois même qu’il avait accompagné Mlle de La Vergne et sa mère, quand elles quittaient Paris pour aller rejoindre à Champiré leur beau-père et leur époux. Il ne parle pas seulement d’un séjour, mais d’un voyage ; et, dans une lettre, plus tard, Mme de La Fayette lui rappelle ce voyage et note, sur le chemin, Trappe et Montfort : c’est le commencement du parcours. Quel felice viaggio, quel dolce tempo ogni di infinite volte con infinito piacer mi si rappresentan nell’ animo. Il se souvient de ce doux temps qu’il a passé nella deliciosissima villa di Ciampirè. Il ne s’est point aperçu que le château fût revêche de mine et caduc. Il n’a point souffert de l’humeur chagrine où était le chevalier de Sévigné. Les printemps de l’Anjou sont ravissants. Mlle de La Vergne était charmante. Et ils se promenaient dans la campagne, au bord de la rivière,