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commencèrent à arriver, et leur contenu se déversa aussitôt dans les rues de la ville pour y perquisitionner.

Dès qu’ils entendaient à leur porte les coups de crosse annonçant la visite de ces bandits, les habitants se croyaient perdus : il n’était pas une cachette qu’ils ne se missent en devoir de leur ouvrir, crainte de froisser de si irritables personnages. Non loin de notre parc, existait un immense dépôt de la Croix-Rouge ; les bolcheviks le réquisitionnèrent immédiatement, puis expédièrent tout ce qu’il y avait de vivres à Poltava. Bientôt, ayant appris qu’il y avait là des troupes françaises, le commandant m’envoyait une délégation pour nous demander quelles étaient nos intentions : « Nous sommes toujours les ni liés des Russes, et nous ne nous occupons pas de leur politique intérieure, » fut la réponse… Et pour cette fois, ils nous laissèrent tranquilles. Mais à quelques jours de là, mon camarade Lachman, dont l’escadrille avait aussi quitté le front et s’était repliée à quelques kilomètres de nous, envoya un de ses avions à Kiew pour y prendre des ordres, chercher de l’argent, et informer notre général que nous ne pouvions plus songer à le rejoindre, puisque la voie était prise par les Bolcheviks qui partaient à la conquête de Kiew. Instruit de cette démarche, Mouraview donna l’ordre d’arrêter et de désarmer tous les Français.

Je ne dépeindrai pas ici le serrement de cœur qui m’étreignit, lorsque je vis cette bande d’énergumènes me réclamer les mitrailleuses dont j’étais dépositaire, ainsi que mes armes et celles de mes hommes. Heureusement, aucun de ceux qui, étaient venus les chercher ne parlait français ; j’eus donc le temps de faire comprendre aux miens que contre le nombre il n’y avait rien à faire, que toute résistance était inutile, mais que j’entendais qu’aucune arme ne lût livrée en état de servir. Puis je me dirigeai, suivi des bolcheviks, vers le bout du train opposé à celui qui contenait notre armurerie. Pendant ce temps, les gros marteaux aplatirent sur les enclumes les canons et les mécanismes ; pales de rage et la mort dans l’âme, mes bommes frappèrent à coups redoublés, tant et si bien que, quand je revins suivi de ma meute, elle ne trouva plus par terre, dans la boue, que des morceaux de ferraille informes, où, on aurait eu peine à découvrir les 30 mitrailleuses dont nous aurions eu tant de plaisir à nous servir !