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Bientôt le bruit se répandit que cette pénurie et cette vie chère provenaient de ce que, les « bourgouï » avaient tout accaparé. On décida de s’en prendre à eux. Les massacres et les pillages commencèrent. Ce fut le prélude du bolchévisme.

Sous couleur de perquisitions, des bandes de soldats armés jusqu’aux dents se mirent à entrer dans les maisons et dans les propriétés des riches, pour s’assurer qu’il n’y avait ni armes ni munitions cachées. Ils se faisaient livrer toutes les clefs et ouvraient les meubles pour y prendre tout l’argent possible… dont ils donnaient un reçu revêtu de quelque vague signature. Les propriétaires faisaient-ils des difficultés pour laisser fouiller leurs maisons, ils les tuaient. Ne pouvant emmener le bétail, et plutôt que d’en faire profiter des gens manquant réellement de tout, ils regorgeaient. Un jour, perquisitionnant dans la propriété d’Yvanoff Loutzévine, maréchal de noblesse de Proscouroff, ils trouvèrent un haras de quatre-vingts chevaux de pur-sang. Comme il eût été trop long de les tuer les uns après les autres, ils imaginèrent de tirer sur eux à coups de mitrailleuses… pour aller plus vite.

Au milieu de tous ces désordres, ce qu’il y avait de plus surprenant, c’est qu’il subsistait encore une sorte de front. Mais l’époque de la neige approchait ; les comités des armées du Sud-Ouest, où nous nous trouvions, déclarèrent que si on ne leur distribuait pas d’effets chauds, ils considéreraient la guerre comme terminée le 1er octobre et qu’à cette date ils rentreraient purement et simplement dans leurs foyers. Or, il y avait fort peu de vêtements d’hiver, car si au front les soldats ne se battaient plus, dans les usines les ouvriers avaient cessé de travailler. L’intendance, dont les dépôts étaient très démunis, était dans l’impossibilité de nourrir et d’habiller des effectifs considérables.

Pour maintenir une armée en ligne, le gouvernement décida de libérer toutes les vieilles classes. Cela lui permettrait de ne conserver que 150 à 200 divisions qu’on parviendrait à entretenir avec ce qui se trouvait dans les dépôts ; car il est à remarquer qu’à ce moment encore le gouvernement ne cessait de publier des manifestes pour déclarer qu’il fallait à tout prix mener la guerre jusqu’au bout. Il est vrai aussi que ces manifestes étaient médiocrement goûtés.

Le résultat fut ahurissant. Les soldats ne voulaient pas aller