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premières, vend tous les produits fabriqués, se charge de tous les transports, décide de toutes les questions ouvrières ; sauf ces détails, l’industriel reste libre… suivant la formule de Figaro. La valeur du système dépend donc de celle que l’on attribue à l’Etat commerçant et industriel. Si on est convaincu par l’expérience que l’Etat ne sait ni acheter, ni vendre, ni transporter à bon compte, ni prendre à temps une résolution quelconque, on estimera le système mauvais. Nous le connaissons d’ailleurs, puisqu’il s’est introduit partout à la faveur de la guerre ; ce sont tout simplement les conditions de guerre que l’on demande à prolonger dans la paix ; ou, si on préfère, c’est l’application à la France de la méthode germanique aggravée, sans l’état d’esprit qui peut, en Allemagne, la rendre tolérable. On nous propose de garder ce que nous subissons par l’effet de la guerre : la disette, le renchérissement, l’arrêt de toute exportation, la paralysie de toute industrie ne fournissant pas l’Etat, la multiplication des fonctionnaires, etc. On nous propose, ou plutôt on nous impose ; car il n’y a pas à se dissimuler que l’organisation étatiste, nécessitée par la discipline militaire, satisfait, à la fois, tous les théoriciens du jacobinisme, tous les adorateurs de l’Etat-fétiche, tous ceux qui prennent pour une solution un règlement, tous les amateurs de simplicité sur le papier : qu’elle existe et que, malgré tous nos efforts pour la localiser, elle subsistera.

Comme consolation, on nous dira que les Anglais nous ont devancés dans cette voie et on nous demandera d’admirer la disparition rapide des vieux principes libéraux chez nos alliés. Voyez ce qui se passe pour le coton, pour les graines oléagineuses, ce que l’on est occupé à généraliser pour le jute, les machines-outils, etc. L’Etat achète tout le coton après avis de deux conseillers, l’un commercial, l’autre technique ; il a réquisitionné le fret et amène à un prix de… dans un port. Là la répartition se fait proportionnellement au nombre des broches ; et le filateur doit livrer le fil à un prix de… Les grands principes d’égalité sont satisfaits. L’Etat pèse de toute sa force sur le marché et réglemente les prix à son gré ; plus de concurrence ; c’est l’idéal. De même pour le fret. Le gouvernement anglais a récemment institué trois grands chantiers nationaux de constructions navales destinés exclusivement aux vaisseaux marchands. Pour les desservir, il n’a pas seulement des