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deux cent mille francs sont le prêt d’une brigade pendant six mois. » Ou bien, si les journaux anglais annonçaient que la femme du Premier Consul cédait à quelque velléité d’anglomanie : « Il est faux que Mme Bonaparte ait commandé une voiture à Londres. » Ou bien, si le Journal des Hommes libres louait un peu étourdiment la piété de Joséphine à Rueil : « Il n’est pas vrai que la citoyenne Bonaparte doive rendre le pain bénit dimanche prochain. Cette circonstance eût été vraie, qu’elle ne prouverait que la piété particulière de la citoyenne Bonaparte, qui est aussi libre qu’une autre de faire ce qui lui convient à cet égard, sans qu’on en doive tirer les conséquences. » Or, le Journal des Hommes libres appartenait à Fouché, ministre de la police. A qui se fier, si Fouché devient maladroit ? Une autre fois, mais plus tard, sous l’Empire, c’est Joséphine qui fut maladroite. L’Empereur était en Espagne et, de Madrid, il avait envoyé au Corps législatif plusieurs drapeaux pris à l’ennemi. Fontanes, président du Corps législatif, alla présenter à l’Impératrice les remerciements et les hommages de l’assemblée. Joséphine, un peu émue et sachant mal la politique, répondit que l’avait touchée cette démarche d’une assemblée qui représentait la nation. Le Moniteur ne manqua point de relater les paroles de Joséphine. Et l’Empereur, ayant lu le Moniteur, se fâcha : « L’Impératrice n’a point dit cela ; elle sait bien qu’il n’y a qu’un représentant de la nation, c’est moi ! » Oui, Joséphine le savait, un peu : mais Joséphine s’était embrouillée. L’Empereur fit insérer par le Moniteur cette rectification vive : « S. M. l’Impératrice n’a point dit cela ; elle connaît trop bien nos constitutions ; elle sait trop bien que le premier représentant de la nation, c’est l’Empereur, car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation. Dans l’ordre de nos constitutions, après l’Empereur vient le Sénat, après le Sénat, le Conseil d’État ; après le Conseil d’État est le Corps législatif ; après le Corps législatif viennent chaque tribunal et fonctionnaire public dans l’ordre de ses attributions. » Ce mémento, pour Joséphine et aussi pour le Corps législatif.

Sous l’Empire, Napoléon collabora beaucoup moins souvent au Moniteur. Alors, le Moniteur était vide. Le rédacteur en chef n’osait y rien mettre qui pût lui valoir une réprimande. Napoléon se faisait apporter les épreuves et les corrigeait sans pitié. En 1811, il y eut à révéler que l’Empire attendait un héritier. Le rédacteur dit bonnement que l’Impératrice était grosse. L’Empereur, en marge de l’épreuve : « C’est inconvenant ! » Et il rédigea comme suit la nouvelle : « Sa Majesté l’Impératrice, vu son état, n’a pu assister à la