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vendus à l’Angleterre, plus sanguinaires que ne fut jamais Marat ! » Et deux jours plus tard : « Voulez-vous épargner cinquante mille hommes de l’élite de la nation, qui vont périr dans cette nouvelle campagne ? Faites briser avec quelque appareil les presses du Thé, du Mémorial et de la Quotidienne, faites fermer le club de Clichy et faites faire cinq ou six bons journaux constitutionnels… » Le Directoire, évidemment, ne fit rien du tout.

Dès cette époque, Bonaparte a, sur les journaux et les journalistes, les sentiments qui seront les siens toute sa vie. Les journaux, il les croit fort influents ; les journalistes, il les méprise. Et en somme, ici comme ailleurs, il constate l’existence d’un pouvoir et constate que ce pouvoir est en mauvaises mains. Que faire alors ? Ce qu’il a toujours fait : tâcher de mettre ce pouvoir en mains meilleures ; et, faute d’y réussir, prendre ce pouvoir. C’est ainsi que d’abord il songe à créer un journal officiel, autant dire un journal confié à des hommes dont il serait sûr. Et c’est ainsi que, faute de trouver les hommes qu’il lui faudrait, il fut journaliste lui-même.

Les Directeurs étant négligents à Paris, Bonaparte fonde à Milan, l’année 1797, un journal, Le Courrier de l’armée d’Italie ou le Patriote français à Milan, par une société de Républicains. Ce journal, qui dura jusqu’au 2 décembre 1798, est malheureusement perdu. Bonaparte fonda bientôt un autre journal, La France vue de l’armée d’Italie, journal de politique, d’administration et de littérature française et étrangère. Le but de ce journal était « de faire connaître la vérité sur ce qui se passe en Italie, sur la manière dont on y envisage la situation de la France, enfin de défendre la liberté et ses amis contre les partisans de la tyrannie ou de la terreur. » Donc, trois articles au programme ; le deuxième était le principal, qui invitait la France à ne pas négliger l’opinion de l’armée d’Italie, et de son chef, sur les événements de Paris. Bonaparte ne dissimule pas qu’il a constitué en Italie, autour de lui, en sa personne, une puissance avec laquelle ont à compter les royalistes, les terroristes, et les Directeurs. Cela est dit assez nettement et les Parisiens sont avertis, quand ils ont lu dans La France vue de l’armée d’Italie ce passage d’un entrefilet que Bonaparte, s’il ne l’a pas écrit, a commandé : « Telle est la position de Bonaparte vis-à-vis des États qui l’environnent… » Est-ce que la France n’est pas l’un de ces États ?… « Telle est la puissance de la République et de ses armées en Italie que le sort du roi de Piémont, le maintien ou le renversement de son trône a déjà dépendu du général en chef de l’armée d’Italie. Il n’avait qu’à dire un mot, qu’à faire