Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Et, tout d’abord, le terrain est-il entièrement déblayé de constructions antérieures ; ce qui facilite toujours la tâche d’un architecte ? Oui, dans certains cas ; non dans d’autres.

Nos pauvres régions envahies et la zone du front pourront être considérées comme un terrain neuf. Il faut compter que tout y sera détruit, soit systématiquement, soit par la fatalité de la guerre… Là nous nous trouverons débarrassés de ces sujétions qui pèsent généralement sur la vieille industrie européenne ; nous pourrons faire de l’américanisme plus scientifique, centraliser l’agriculture, unifier et spécialiser les usines. A l’intérieur du pays, nous conserverons notre industrie ancienne, avec certaines complications et quelques avantages introduits par les improvisations hâtives de la guerre. Nous aurons à chercher l’emploi pacifique d’immenses et coûteuses installations destinées à l’armement, afin que les millions dépensés ne se soient pas évaporés sans résultat durable. Nous rencontrerons beaucoup de matériel fatigué, des richesses naturelles gaspillées ; mais aussi des travaux de ports, de voies ferrées, ou d’usines en partie utilisables.

Ces quelques récupérations de dépenses militaires seront la partie la plus apparente de notre bénéfice. Il est logique d’y adjoindre la force que nos grandes sociétés industrielles tireront des profits accumulés pendant la guerre. Je ne voudrais pas soutenir la doctrine paradoxale que la guerre enrichit le pays en créant des milliards de papier fiduciaire, dont la contre-partie est seulement dans la richesse latente, jusqu’alors inutilisée. Il n’en est pas moins vrai qu’une partie de cette fortune publique a passé de l’état potentiel à l’activité, sauf les pertes qu’entraîne toute transformation semblable. Nos sociétés ont reçu un renfort réel et matériel, qui s’est traduit, tant par leurs installations, leurs recherches utiles, les laboratoires créés dans les usines, les sondages destinés à explorer le sous-sol minier, que par leurs réserves et leurs amortissements. Du matériel a été commandé à l’étranger, qui n’aura pas été entièrement détruit… Il est inutile d’insister sur les annihilements formant la contre-partie lamentable de ces légers bénéfices ; on les connaît assez. Quand nous établissons la balance, nous ne pouvons manquer d’en conclure que nous allons être des pauvres.