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d’une rigueur implacable, l’état futur de l’Europe serait alors celui sur lequel nos ennemis ont compté depuis le premier jour : une Allemagne toute-puissante avec des usines intactes, ou plutôt énormément accrues par des installations de guerre susceptibles d’être transformées rapidement en installations de paix ; avec une flotte marchande reconstituée par leur travail intensif et protégée par le blocus même ; avec des finances moins malades que beaucoup d’autres, puisque le pays a vécu sur lui-même et sur le pillage méthodique des régions envahies ; avec une organisation de fer, dont l’événement aurait alors montré la puissance incoercible, la force de résistance contre l’hostilité du monde entier. S’il devait en être ainsi, nous aurions beau obtenir d’autres satisfactions : nous serions, en fait, des vaincus. Cette défaite apparaîtrait d’abord dans la concurrence commerciale qui nous livrerait pieds et poings liés à nos adversaires ; et elle ne tarderait, pas à éclater sur le terrain militaire…

Ecartons une telle crainte. Le monde n’en sera pas moins divisé en nations, dont les unes auront plus souffert et seront plus accablées de charges que les autres. La lutte commerciale entre elles, pour prendre des formes plus courtoises, n’en existera pas moins et n’en sera pas moins difficile pour notre pays qui, entre les grandes nations, se trouve avoir subi la plus lourde charge de la guerre. Nous nous trouverons en face d’immenses destructions ayant porté à la fois sur les choses et sur les hommes. Il y a là tout une reconstruction à entreprendre, pour laquelle nous voudrions suggérer quelques idées, en laissant de côté les problèmes politiques et sociaux qui pourront se poser à cette occasion, et en nous limitant au champ déjà large de l’économie industrielle.

Les divisions de notre sujet s’imposent à nous tout naturellement. Une industrie a besoin de matières premières, de transports, de main-d’œuvre, de force et de capitaux. Ce sont les points spéciaux qu’examineront nos articles ultérieurs. Mais le tout doit être combiné d’abord suivant des vues d’ensemble, que nous allons indiquer dans ce premier travail.

Nous avons un plan à tracer. Examinons le terrain sur lequel nous sommes appelés à construire et les ressources dont nous disposerons. Nous prenons la succession d’une entreprise obérée. Dressons le bilan de son actif et de son passif.