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Quelle fut ta pensée en ce moment terrible
Où tout se défait brusquement ?
As-tu rejoint soudain, comme une heureuse cible,
L’allégresse des éléments ?

L’azur est-il enfin la suave patrie
Où l’être attentif se répand ?
Rêves-tu comme moi, au bruit mol et coupant
Du rouleau qui tond la prairie ?

— O mort que j’ai connu, qui parlais avec moi,
Toi qui ne semblais pas étrange,
D’où vient ma sombre horreur lorsque je t’aperçois
Moitié cadavre et moitié ange ?

Les respirants lilas, dans ce matin de mai,
Sont de bleus îlots de délices ;
Jeune instinct dispersé, n’entendras-tu jamais
Le bruit d’un jardin qu’on ratisse ?

Comme tout nous surprend dès qu’un homme est passé
Dans l’ombre où ne vient pas l’aurore !
Se peut-il que l’on soit, l’un du côté glacé,
L’autre du côté tiède encore ?

Un mort est tout grandi par son puissant dédain,
Par sa réserve et son silence ;
Ah ! que j’aimais ton calme et mon insouciance
Quand tu vivais l’autre matin !

Tu ne comptais pas plus que d’autres jeunes êtres,
Comme toi hardis, fiers et doux :
O corps soudain élu, te faut-il disparaître
Pour briller ainsi tout à coup ?

— Le vent impatient, qui toujours appareille
Vers quelque bord réjouissant,
Qui se dépêche ainsi que la source et le sang,
Que la gazelle et que l’abeille,