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financiers. Nous considérerons que tout le pays constitue un être indivisible, dans lequel les fonctions nourricières appartiennent aux organes maintenus en communication avec le dehors ; la biologie nous apprend, en effet, qu’un corps vivant quelconque dépense sa propre substance, et élabore des toxines, par lesquelles il est rapidement empoisonné, si on le maintient isolé et confiné.

Après ces deux postulats, faut-il en répéter un troisième que j’ai été conduit à énoncer dès les premières lignes : c’est que l’après-guerre demeurera, pendant un temps plus ou moins long, une prolongation de la guerre ? On ne transporte pas brusquement un convalescent, un opéré dans la vie active, un scaphandrier dans l’air libre. Nous serons anémiés, lassés ; nous aurons perdu notre équilibre musculaire, ici par atrophie, là par surabondance. La démobilisation morale sera longue. Et, par le fait même que la guerre se continuera pour nous sous une autre forme, nous serons contraints à endurer d’abord un appui artificiel dont nous demanderons à nous libérer le plus vite possible. La mainmise de l’Etat, avec ses réglementations, ses restrictions, ses combinaisons factices et momentanées, ne pourra, malgré tous ses défauts et ses périls, manquer de s’imposer quelque temps à nos initiatives intérieures, de même que le régime des relations extérieures sera nécessairement soumis pendant de longs mois à une surveillance, à une contrainte rappelant l’état de blocus.

Regardons cet avenir en face, sans aveuglement comme sans défaillance. Les conditions de la vie future dépendront beaucoup de la patience que nos alliés et nous aurons apportée à la continuation de la lutte. Si nous tenons encore les mois nécessaires pour que l’assistance de l’Amérique devienne décisive, tout se simplifiera et nous pourrons organiser le régime rêvé de droit et de liberté, en paralysant ceux qui prétendaient lui substituer leur arbitraire et en leur imposant comme châtiment toutes les conditions de restitutions, de réparations, d’indemnités, de tarifs douaniers que nous jugerons utiles. Peut-être pourrons-nous alors parer à l’immense péril que constituent, pour les temps futurs, l’écroulement de l’Homme de neige et le rétablissement de l’ordre en Russie par les Allemands. Mais, si le malheur voulait que nous nous lassions trop tôt et avant de pouvoir dicter des stipulations économiques