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celles-ci avaient, avec une surprenante vigueur, grimpé à travers les arbres de la forêt de Vauclerc et pris pied en quelques instants sur la crête du plateau ; mais elles restaient en l’air, notre attaque de front ne se pouvant déclencher, et, en butte bientôt à un feu nourri d’infanterie et d’artillerie, elles étaient bientôt rejetées avec pertes dans les fonds. Nansouty cependant, parti de Vassogne, gravissait moins rapidement les pentes du Trou d’Enfer.

Il était urgent qu’engagé par Ney le combat ne semblât pas s’affaisser : l’Empereur attendait Victor et la division de jeune garde Boyer de Rebeval ; car, s’il avait autour de lui la division Friant, il n’entendait pas la lancer dès le début d’une action difficile : c’était la vieille garde, « espoir suprême et suprême pensée. » Victor enfin arriva : ordre lui fut donné de côtoyer le ravin de Vauclerc jusqu’au Chemin des Dames ; Ney tentant un second assaut sur le flanc gauche de l’ennemi, Victor, longeant la crête du plateau, essaierait de lui donner la main.

Ces soldats de Rebeval étaient tout jeunes : « Le général, écrit son chef d’état-major, était loin de s’attendre à entrer en ligne avec des troupes formées de conscrits réunis depuis vingt jours, pendant lesquels ils avaient fait plus de cent lieues et avaient en conséquence à peine eu le temps d’apprendre à charger un fusil[1]. » Cependant ces enfants s’élancèrent avec le courage de vieux soldats.

Ayant contourné le plateau, ils débouchèrent devant la ferme d’Hurtebise ; les Russes l’évacuèrent après y avoir mis le feu, — fort heureusement, car telle circonstance permit aux jeunes soldats de Rebeval, sous le couvert de la fumée et malgré le feu de quarante-huit pièces, de gagner sans trop de dommage la Mutte-aux-Vents, derrière laquelle ils s’abritèrent. « La division, ployée en colonne serrée, franchit le défilé et se porta en avant afin de gagner le terrain nécessaire pour favoriser le déplacement de l’ennemi jusqu’à l’arrivée des troupes qui ne purent monter que lentement. » Le feu continuait à être intense : derrière la Mutte-aux-Vents, les Marie-Louise s’apprêtaient à une nouvelle marche, résignés, bons petits Français

  1. Rapport du chef d’état-major de la division Boyer de Rebeval. C’est un des documents (aux Archives du ministère de la Guerre) qui paraissent les plus exacts. Il a été publié dans Berlin. La campagne de 1814, d’après les témoignages oculaires. Paris, 1887.