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beaucoup d’y placer quelques corps, une trentaine de mille hommes. Pendant qu’ils arrêteraient l’armée impériale, un corps de cavalerie, passant l’Ailette, gagnerait, à travers le plateau septentrional, la région de Festieux et, débouchant ainsi sur les derrières de l’assaillant, le tournerait sur la route de Reims entre Coucy-les-Eppes et Montaigu. Préférant d’ailleurs faire tuer des Russes plutôt que des Prussiens, le vieux maréchal jeta vers Hurtebise Woronzof, avec 16 300 fantassins, 2 200 cavaliers et 96 canons, le corps prussien de Sacken, fort de 16 000 hommes, devant ne former en arrière qu’une réserve ; Winzingerode, avec, sa cavalerie (10 000 chevaux) et 60 pièces de canon, suivi par l’infanterie de Klüst, opérerait la marche sur Festieux, après avoir franchi l’Ailette entre Chevregny au Nord et Filain au Sud.

Rappelons en peu de mots ce que nous avons dit du champ de bataille. Craonne est accroché sur le flanc oriental d’un plateau qui, de son rebord Est à Hurtebise, se trouve deux fois étranglé : ainsi forme-t-il trois presqu’îles qu’en 1917 on devait baptiser plateau de Californie, plateau des Casemates, plateau de Vauclerc. Aucun de ces étranglements ne laisse un passage aussi étroit que le troisième, l’étranglement d’Hurtebise, par lequel le plateau de Craonne se rattache aux grands plateaux d’entre Ailette et Aisne. De la vallée toujours marécageuse de l’Ailette, la forêt de Vauclerc monte à l’assaut de la pente et s’enfonce en coin dans le plateau : c’est le ravin qu’en 1814 on appelait le Trou de la Demoiselle : au Sud, un autre ravin vient creuser le plateau : il part de la vallée Foulon et escalade la hauteur par une pente plus abrupte encore : c’était le Trou d’Enfer. C’est entre le Trou de la Demoiselle et le Trou d’Enfer que s’allongeait l’isthme d’Hurtebise. À l’entrée de l’isthme se trouvait la vieille ferme d’Hurtebise devant laquelle commençait le Chemin des Dames, courant vers Cerny à l’Ouest, à travers le large plateau qui s’étend de Paissy au Sud aux pentes qui dominent, dans la vallée de l’Ailette, le village d’Aillés.

Après avoir pris Craonne, les bataillons de jeune garde s’étaient avancés sur le plateau, mais, chargés par les hussards russes Pawlograd, ils avaient été rejetés dans le bourg où ils se maintenaient. En revanche, la division Meunier, s’étant emparée de l’abbaye de Vauclerc, sur les pentes de l’Ailette, avait refoulé l’ennemi sur la ferme d’Hurtebise qui, prise et perdue trois fois,