Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Aillés et de l’Abbaye de Vauclerc, escaladèrent trois fois les pentes abruptes de la vallée de l’Ailette, des cavaliers de la vieille garde qui, de la vallée Foulon, prenaient d’assaut les balcons du Trou d’Enfer, de toute cette vaillante petite armée, qui, le 7 mars, au soir, saignant cependant de mille blessures, reconduisait « tambours battant » Russes et Prussiens sur le Chemin des Dames jusqu’à l’auberge de l’Ange Gardien d’où Napoléon datait son bulletin de victoire.

Sous un ciel sourcilleux, M. le sénateur Ermant célébra, selon l’usage, l’alliance franco-russe et salua les petits soldats de vingt ans, appelés à la caserne par la nouvelle loi et qui seraient « nos Marie-Louise. » M. Garrault, député, s’écria : « Gardons comme un réconfort la leçon qu’ils nous ont léguée, gardons-la pour nos enfants, afin que demain, s’il était nécessaire, ils y puisent le précieux enthousiasme d’un inoubliable et grandiose exemple ! » M. Henri de Verneuil, conseiller général de Craonne, se glorifia de représenter « un canton historique jusque dans ses plus petites communes » et s’écria : « Vive Craonne de 1814 et vive Craonne de 1914 ! » Le matin, dans la modeste église d’Aillés, M. l’abbé Ambroise, curé de Chermizy, — que nous retrouverons au cours de cette étude, — avait célébré la messe pour le repos de l’âme des soldats de Ney tombés entre Ailles et Hurtebise.

« Vive Craonne de 1814 et vive Craonne de 1914 ! » M. de Verneuil ne savait pas si bien dire…

Car, malgré les bruits menaçants, on eût sans doute grandement étonné les orateurs si, dans une vision tragique, on leur eût montré une autre armée de héros donnant, moins de sept mois plus tard, l’assaut au plateau de Craonne ; mais on les eût bien autrement étonnés si on leur eût révélé que cette bataille durerait fort exactement 1136 jours, du 13 septembre 1914 au 25 octobre 1917 — coupés, il est vrai, par les longs mois d’une guerre de siège.

Ce sera, en effet, l’originalité de cette bataille de l’Aisne de 1914, — lien entre les batailles de l’Est et les batailles du Nord, — qu’elle aura duré plus de trois ans : commencée les 12 et 13 septembre 1914, s’affaissant après le 30, se réveillant, parfois de notre fait et parfois du fait de l’ennemi, au cours de 1915, elle devait soudain reprendre, le 16 avril 1917, sur ces mêmes positions où les engagements de 1914-1915 avaient laissé les