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histoire vraie, qu’il a lue, et qu’il pressente, lui, à Balzac. « Nul doute que si M. de Balzac avait ce connu ce petit écrit, il n’eût donné à son livre le cachet de réalité qui y manque et il se fût garanti de beaucoup d’à peu près. » Voilà Sainte-Beuve, tel que le verra la Princesse : « souriant à toutes les malices, en découvrant partout. »

La grande colère de Balzac éclata, comme l’écrira plus tard F. Buloz, à la suite d’un article de Sainte-Beuve, que Balzac ne pardonna jamais au directeur de la Revue, ni à Sainte-Beuve, bien entendu, le fameux article sur la Littérature industrielle. Certes, le romancier y était visé, nommé même : « j’y frappe à droite et à gauche, et le plus de la pointe que je puis, » dit Sainte-Beuve. Cet article eut un retentissement énorme : « on a crié, on m’a répondu des injures, » Aussi lorsqu’en 1840 Balzac fut une fois encore à la tête d’une Revue ; — la Revue Parisienne, — il se vengea vivement, et Sainte-Beuve fut un des premiers à recevoir de lui sa « volée de bois vert. »

Le critique venait d’être nommé conservateur à la Mazarine : « Il faut féliciter M. de Rémusat d’avoir mis à un poste littéraire un homme qui s’occupait peu ou prou de littérature… contrairement à l’axiome de Figaro, qui régissait les résolutions ministérielles, qui mettait des Italiens à la chambre des Pairs, des Suisses anciens chercheurs de produits chimiques au Théâtre français. » [Les Suisses, c’est François Buloz, né en France, mais ayant été employé, jeune étudiant, dans une fabrique de produits chimiques. Continuons : ) « La muse de M. Sainte-Beuve est de la nature des chauves-souris : elle aime les ténèbres. La phrase molle et lâche, impuissante et couarde, côtoie les sujets, se glisse le long des idées. Elle tourne, dans l’ombre comme un chacal. » Et encore : « Sa blafarde muse a couvert les cercueils où dormait toute la famille entêtée, vaine, orgueilleuse, ennuyeuse, dupée et dupeuse des Arnaud. » Il blâme, cela va sans dire, ce réveil, le trouve inutile : parler de Port-Royal après Racine, après Bossuet et les Jésuites, « dans une époque où ces questions n’existent plus ! » Dans son article de 1834 ; Sainte-Beuve avait reproché à Balzac ses métaphores, « la raison coefficiente des événements, » etc. Aujourd’hui, le romancier raille les « coteaux modérés » et à les zéphyrs mûrissants » du critique, « ces tropes faux où la pensée est à l’état de germe et qui le constituent l’inventeur du pêtard littéraire.