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attendrissement certaine auberge où lui furent servis des ortolans dont elle aperçoit, dans l’office, « un amoncellement. » À Toulouse, un jour de fête, elle compte dix-sept plats au dîner, de l’auberge, et s’effraie d’un voisin de table, — un Français, — qui n’en laisse point passer un seul et dont elle s’attend à voir craquer le beau gilet de soie bleue brodé d’argent[1]. À l’auberge de Bessay, la cave était si riche en vins parfaits et la broche sans cesse si opulemment garnie de volailles et de gibiers de choix, qu’il y eut parmi les voyageurs de la diligence une émeute certain jour où les conducteurs prétendirent relayer ailleurs[2].

Comment procédaient les hôteliers du vieux temps pour s’approvisionner, avec tant d’exactitude et de profusion, de victuailles à ce point recherchées ? À quel marché se les procuraient-ils ? Eh ! Ils les avaient sous la main et n’avaient pas besoin de recourir à des intermédiaires onéreux ou à des commissionnaires cupides ; toute maison d’auberge possédait son étable, son « toit à porcs, » sa basse-cour ; toute ménagère était laitière et battait son beurre, lequel, destiné à être consommé le jour même, n’exigeait ni lavage, ni mixture d’aucun genre. Le ruisseau, la rivière, le torrent ou l’étang voisin foisonnait de brochets, de truites, de carpes, d’anguilles et d’écrevisses ; le gibier pullulait en toutes les régions de France et n’était pas l’apanage des « plaisirs seigneuriaux ; » sinon on ne pourrait expliquer la débauche qui s’en faisait à la table des moindres hôtelleries. La production de chaque coin de France suffisait plantureusement aux besoins de ses régionaux et aux fantaisies des étrangers de passage. Mais ce qui devient mystère, — du moins pour qui s’étant aiguillonné l’appétit aux souvenirs émerveillés des voyageurs d’autrefois, a souffert par sa propre expérience de la pénurie de nos modernes auberges de campagne où, dans les années qui précédèrent la guerre, l’œuf frais devenait une rareté et l’on ne trouvait à peu près rien que du vermouth et de l’absinthe, — ce qui reste mystère, ce sont les causes qui ont amené l’abolition de ces richesses locales. Les droits de pêche et de chasse, tant enviés, dit-on, par nos ancêtres, sont accordés à tous moyennant des rétributions minimes ; avec une sollicitude méritoire, les pouvoirs

  1. Cradock, 173.
  2. Comment on voyageait autrefois, loc. cit.