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les grands chemins, se querellant aux relais, logeant en de mauvais gîtes, un peu déçus des embarras qu’ils rencontrent, mais se réconfortant à l’espérance « des commodités qu’ils se procureront à Paris… » s’ils y parviennent jamais ! Il faut noter que l’usage autorise, sur cette route très fréquentée, les voyageurs à se délasser de la voiture en chevauchant, sans supplément de prix, les bidets de la poste[1] ; mais, dans ce cas, ils doivent veiller personnellement à la monture qui leur est confiée et lui donner des soins en cas de blessure. Reichard abonde à ce sujet en conseils aussi minutieux que peu pratiques : « Ne jamais aller qu’au pas ; — ne pas laisser le cheval entrer à l’écurie quand il est en sueur, mais le promener aux environs de l’auberge en le tenant par la bride jusqu’à ce que tout son poil soit sec ; — lui frotter les cuisses avec de la lavure de vaisselle dans laquelle on aura fait bouillir de petits os concassés, du vieux tard et de la vieille graisse ; — envelopper les sabots dans des feuilles de chou salé cru à quoi on mêle de la bouse de vache… » toutes opérations éminemment utiles, on n’en peut douter, à la santé du cheval, mais qui ne devaient rien ajouter à la satisfaction du cavalier.

M. de Kerpoisson, M. de Rouaud et leurs compagnes n’eurent point, d’ailleurs, à subir des contrariétés de ce genre : après quatorze jours de route, des « nuitées » à Mont-Landon, à Chartres et à Trappes, ils passaient enfin, le 22 juin, au pied des terrasses de Versailles, et arrivaient le soir à Paris, but de ce voyage entrepris « sous l’étendard de l’amitié. » Nous les y retrouverons plus tard, ne nous intéressant, pour le moment, qu’à leurs procédés de pérégrination. Quand ils décidèrent de retourner chez eux, ils renoncèrent à la chaise de poste dont ils n’avaient point gardé bon souvenir, s’empilèrent bourgeoisement dans la diligence d’Orléans et, parvenus aux bords de la Loire, firent achat d’une « cabane, » sorte de bateau plat qu’ils chargèrent de provisions et qui les porta jusqu’à Nantes, après escales à Saint-Dyé, à Blois, à Amboise, à Tours, à Langeais, à Saint-Martin de la Place, aux Ponts-de-Cé et à la Meilleraie… Huit jours de navigation avant d’aborder au quai de la Fosse : ces téméraires Guérandais se seraient charitablement employés à faire interner comme dangereux le devin assez clairvoyant

  1. Souvenirs d’un nonagénaire, publiés par Célestin Port. Passim.