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n’est jamais achevée, qui a non seulement ses heures, mais ses minutes, et où il ne s’agit que de choisir et de saisir la minute? « Des possessions répondant à notre grandeur; » mais tout dépend de l’idée qu’on se fait de sa grandeur, et nous savons l’idée que l’Allemagne se fait de la sienne. « Répondant aussi à l’étendue de nos capacités coloniales éprouvées » lesquelles ne se mesurent pas uniquement à la population, sont intellectuelles et morales autant que physiques, politiques et économiques; mais l’Allemagne, dans l’image qu’avec complaisance elle présente d’elle-même à elle-même, n’est-elle pas la nation « capable » par excellence? Guilaume II le disait l’autre jour encore : « Le peuple le plus capable de l’univers. » Cela, sur terre; sur mer, la liberté; la liberté sur la mer libre; le mot revient à trois reprises; c’est dommage qu’à la première, tout en se doublant du mot « indépendants, » il se corrige par le mot « forts, » qui, en allemand, veut dire plus forts que tous et plus forts que tout. Grandeur, capacité et force suréminentes : sur ces fondements il est possible de bâtir une théorie de l’hégémonie universelle; ce ne sera qu’un exercice d’académie ou de bureau pour le philosophe ou le politique allemand, et, pour dire le vrai, cette croyance enracinée, cette foi dans la suréminence de grandeur, de force et de capacité de l’Allemagne, c’est la source profonde d’où l’horrible guerre est jaillie.

Néanmoins, l’Allemagne, ou les Allemands, ou des Allemands, se sont montrés très indignés de ce programme du secrétaire d’État auquel ils ont reproché sa réserve, sa tiédeur, comme une trahison. M. de Kühlmann ne s’était-il pas avisé de répéter, après le vieux Moltke, que, d’une pareille guerre, nul ne saurait « prévoir la durée, ni la fin; » que ce pouvait être « une guerre de sept ans, une guerre de trente ans, » et de faire observer, de son chef et de son cru, « qu’étant donné l’ « extension inouïe de cette guerre de coalition, étant donné aussi le nombre de puissances transocéaniques qui y sont mêlées, » les armes ne la finiront pas, sans la diplomatie? Aussitôt, clameurs de réprobation dans la Commission plénière même, avec écho grondant, feu roulant, Trommelfeuer, dans la presse pangermaniste ou simplement impérialiste; désaveu, moitié miel et moitié Vinaigre, du chancelier comte Hertling; bruits de démission de M. de Kühlmann. Singulier pays, où tout le monde contredit, dément et renie tout le monde ! Entre le discours de l’Empereur du 16 juin, et le discours du secrétaire d’État du 21, à huit jours de distance, qu’y a-t-il de commun? Et quoi de commun, à deux heures d’intervalle, entre les paroles de M. de Kühlmann et celles de M. de Hertling? Entre les